Matthew Modine (acteur, rôle principal dans «Full Metal Jacket») Un jour, je lui ai dit: «J'ai une blague pour vous: vous êtes mort… "C'est pas drôle", a-t-il dit. Laissez-moi raconter la blague: Steven Spielberg est mort également. Il réplique: "Oh, Steven est mort aussi, ça, c'est marrant." Je poursuis: Vous êtes au paradis, et Spielberg vient juste de mourir; il est accueilli à l'entrée par Gabriel, qui lui dit: "Dieu a vu beaucoup de vos films, il tient à ce qu'on veille sur votre confort. Appelez-moi si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis à votre service." Alors Steven dit: "En fait, j'ai toujours voulu rencontrer Kubrick, pensez-vous que vous pourriez m'arranger le coup?" Gabriel le regarde: "Enfin, Spielberg, parmi toutes les choses que vous pouvez demander, pourquoi choisir celle-là? Vous savez que Stanley n'aime pas les entretiens, je suis désolé, je ne peux vraiment pas faire ça. "Mais vous m'aviez dit…", bredouille Spielberg. Gabriel: "Je suis désolé, je ne peux vraiment pas faire ça." Et ils font un petit tour de paradis et voient passer un type à vélo avec une barbe, en veste militaire… "Oh, mon Dieu, regardez là-bas, c'est Stanley Kubrick! s'exclame Steven. On ne pourrait pas l'arrêter, au moins, pour le saluer?" Et l'archange Gabriel emmène Steven à l'écart et chuchote: "Ce n'est pas Stanley Kubrick; c'est Dieu qui se prend pour Stanley Kubrick."» Cette blague lui a plu.

 

Gerald Fried (copain d'adolescence, compositeur des musiques de «Day of the Fight», «Fear and Desire», du «Baiser du tueur» et des «Sentiers de la gloire») Adolescents, nous traînions dans le Bronx, il était névrosé, brillant, talentueux comme d'autres copains de la bande. Il voulait entrer dans mon club de base-ball et frimer devant les filles. A cette époque, les écoles de cinéma, ça n'existait pas. On apprenait en allant voir des films. Après les avoir vus, nos discussions se résumaient à écouter Stanley plus ou moins dégoiser sur le sentimentalisme ringard de la plupart.

 

Paul Mazursky (réalisateur, acteur dans «Fear and Desire») Il était tellement déterminé et déployait une telle énergie pour obtenir les choses qu'il désirait! Je n'avais jamais vu ça. L'argent que son oncle avait investi dans Fear and Desire commençait à manquer; alors il est parti en voiture jusque chez son oncle Martin, avec Frank Silvera et moi. Il avait besoin de 5 000 dollars supplémentaires et il nous a garanti qu'il les obtiendrait. Il ne savait pas comment mais il en était certain. Je n'oublierai jamais ce moment. Il a obtenu l'argent. Il devait tout assurer, les lumières, les prises de vues, le montage. Il ne savait pas vraiment comment parler aux acteurs. Il avait juste son truc dans sa tête. Il y a quelques années, dans un festival de films, John Boorman allait présenter Fear and Desire, mais Stanley a supplié Boorman de ne pas le faire car il n'aimait pas le film. Il le détestait même.

 

Gerald Fried Je connaissais Toba Metz, sa première femme. Ils étaient encore adolescents - ce n'était pas très sérieux. Le mariage était légal, mais c'était comme s'ils venaient juste de se rencontrer: il n'y avait aucun échange profond entre eux. Alors qu'avec Ruth (Sobotka, sa deuxième femme), ils formaient un vrai couple. C'était une danseuse, intelligente, belle et accomplie, il y avait souvent de petites disputes entre eux, mais ils avaient l'air faits l'un pour l'autre. Il a écrit cette scène de danse du Baiser du tueur pour elle. De plus, elle avait dessiné les costumes ou quelque chose comme ça. Fatalement, leur séparation m'a choqué.

 

James B. Harris (réalisateur, producteur, coproducteur avec Kubrick du «Baiser du tueur», des «Sentiers de la gloire» et de «Lolita») Ruth était une danseuse trop âgée pour continuer à danser. Et elle voulait devenir directrice artistique. Kubrick lui a fait plaisir. Elle ne comprenait pas pourquoi son nom ne figurait pas sur la porte de notre bureau, alors que le mien et celui de Kubrick y étaient. Ils se sont séparés, et il est parti. Nous avons quitté nos femmes ensemble. Il me faisait répéter la façon de lui annoncer notre départ à Los Angeles. Nous n'étions pas seulement partenaires, nous sommes devenus les meilleurs amis. Nous partagions tous les trucs habituels, les matchs de football, les fêtes de Thanksgiving avec nos copines ou nos familles. Stanley lisait plein de bouquins sur un sujet qui nous intéressait tous les deux. Et il devenait expert, comme au poker où il a pu rapidement briller dans les parties les plus meurtrières. Quand nous nous sommes associés, il a dit que nous ne devrions jamais nous séparer ni avoir de disputes irréparables, que l'un de nous devrait toujours pouvoir convaincre l'autre. Un type intelligent doit pouvoir accepter l'argument de son partenaire si c'est celui-ci qui est sur la bonne piste. Je dois donc être la personne la plus intelligente du monde car il m'a convaincu à chaque fois.

 

Gerald Fried C'était un type plutôt difficile. Qu'il soit brillant et talentueux n'a fait qu'aggraver les choses. Il cherchait à être comme tout le monde mais il n'y parvenait pas, et il en souffrait.

 

Coleen Gray (actrice, covedette de «l'Ultime Razzia») C'était un petit homme qui portait des treillis et des godasses de l'armée, qui avait des cheveux touffus, mais était très calme. J'attendais qu'il me dirige, mais en vain - ce qui était assez déstabilisant. Il avait l'air préoccupé. Peut-être que, finalement, le fait de me sentir peu confiante a servi le rôle. La fille du film était aussi mal dans sa peau que moi.

 

Marie Windsor (actrice, covedette de «l'Ultime Razzia») Kubrick était quelqu'un de très introverti. Il était extrêmement calme, et, sur le tournage, je ne l'ai jamais entendu crier ni après un membre de l'équipe technique, ni après un acteur. Quand il souhaitait que je change quelque chose, il me faisait un signe du doigt, m'emmenait à l'écart et me donnait ses directives. Une fois, je devais être assise sur un lit et lire un magazine, il m'a dit: «Je veux que vous bougiez les yeux quand vous lisez.» Il avait seulement 20 ans mais dégageait une assurance incroyable. Pour la première du film, il vint chez nous à une soirée. Il portait son éternelle tenue d'ouvrier un peu usée.

 

Richard Anderson (acteur-producteur, répétiteur de dialogues et acteur dans «les Sentiers de la gloire») Il avait des cernes très profonds sous les yeux, les cheveux en pétard. Stanley était un pro aux échecs - pendant le tournage, il cherchait toujours à comprendre ce qui motivait les gens. Leur psyché le passionnait.

 

Richard Anderson Avec Christiane, Stanley était complètement sous le charme. Il disait n'avoir jamais rien vécu de tel auparavant.

 

Christiane Kubrick (troisième épouse de Stanley) Il m'a vue à la TV à Munich. Il a contacté mon agent pour m'engager. Je l'ai rencontré dans un studio, puis il est venu à un immense bal masqué dans lequel je jouais, il était le seul à ne pas être déguisé. Assez déconcerté, il a demandé à l'un de mes cousins de l'aider à me retrouver.

 

James B. Harris Ils sont tombés fous amoureux l'un de l'autre, et voilà. Elle était un peu inhibée car son anglais n'était pas très bon. C'était une très belle actrice. Ils sont restés ensemble depuis. Une vraie belle histoire d'amour.

 

Frederic Morton (écrivain, journaliste, assistait au tournage des «Sentiers de la gloire») C'était un vrai moment clé. Avant ça, il avait toujours l'air un peu lugubre, ses grands yeux toujours ténébreux. Il était extrêmement sensible à tout ce qui se passait autour de lui. Il donnait ses instructions aux acteurs au conditionnel, pas à l'impératif: pourriez-vous faire ceci, cela?

 

Traduit de l'anglais par Corinne Julve et Edouard Waintrop