Tiré du site "Cinehig Clionautes"

En 1957, Paths of glory (Les sentiers de la gloire) commençait une assez belle carrière d’indésirable. Aujourd’hui encore accompagné d’une légende tenace et sulfureuse, le quatrième film de Stanley Kubrick revenait sur certains épisodes de la Première guerre mondiale, et développait une vision très noire du conflit, qui lui valut autant d’admiration que d’hostilité. Le film est très caractéristique des ambiguïtés qui marquent toute création artistique prenant l’histoire pour toile de fond, ambiguïtés qui permettent d’en faire le support d’un travail critique fort riche avec des élèves. La problématique d’un tel travail tient en deux mots : de quelle manière Les Sentiers de la Gloire sont-ils un film « historique » ?

 

Un film d’histoire ?

 

Dans une première partie, on aimerait donner aux Sentiers de la gloire le statut d’un document historique, comme si le film se contentait de pointer une période bien identifiée de l’histoire du vingtième siècle. Démarche illégitime, sans doute, puisqu’elle évacue sans scrupule tout ce qui constitue le film en œuvre ; mais c’est une réduction sans laquelle aucune utilisation pédagogique du cinéma de fiction n’est possible.

 

 

  • L’identification d’un contexte historique

 

Cette démarche de l’enseignant rencontre d’ailleurs celle du réalisateur, lorsqu’il prend l’histoire pour théâtre de son œuvre. Ce dernier a lui-même fait l’effort de reconstitution documentaire qui doit accréditer le contexte où se déploieront son intrigue et ses choix esthétiques. Dans le cas de S. Kubrick, l’attention portée au moindre détail, la précision de la reconstitution sont même au cœur du travail artistique, et les critiques n’ont jamais manqué de s’émerveiller du « sens du détail », et du « perfectionnisme » qui marquent son œuvre entière. L’identification du contexte est immédiate chez nos élèves : la Première Guerre mondiale se dévoile dès les premières scènes, qui s’achèvent avec la fin de la discussion entre les généraux Broulard et Mireau, le dernier ayant finalement accepté de lancer ses hommes à l’assaut de la « colline des fourmis ». La fidélité de la reconstitution donne ici de précieux indices, généralement interprétés sans difficultés par nos élèves, et des notations textuelles situent d’ailleurs explicitement l’action dans le temps et l’espace. Il est pourtant loisible, afin d’établir tous les éléments du contexte, de considérer que le « début du film » (voir l’article de D. Cayla dans ce numéro) se termine seulement avec l’entrevue du général de brigade Mireau et du colonel Dax  : l’intrigue est vraiment construite, tous les premiers rôles ont fait leur entrée, le spectateur maîtrise désormais le corpus d’informations qui oriente son regard. Surtout, le paysage caractéristique des horreurs de la guerre, la tranchée, le boyau, minutieusement reconstitué a définitivement ancré les représentations du spectateur. Par ailleurs, c’est une atmosphère qui a été brillamment suggérée, dont on peut inférer un certain nombre des développements ultérieurs de l’intrigue. Dès ce moment, le spectateur sait bien que l’attaque est vouée à l’échec, que les hommes du rang et les officiers supérieurs appartiennent à deux races distinctes, et que Dax, le médiateur, sera l’homme de la lucidité et de l’impuissance.

 

C’est l’occasion d’un travail sur la reconnaissance par les élèves des éléments factuels et ponctuels qui identifient le contexte historique, et qui permettent d’attester la « véracité » des situations présentées, c’est à dire la dimension documentaire d’un film enraciné dans un contexte identifié, appartenant à l’histoire du XXe siècle.

 

On peut proposer ce travail sous la forme simple d’un tableau à renseigner : on consacrera une colonne à l’identification des éléments documentaires, et la seconde à un commentaire critique, visant à confronter le film au contenu du cours, ou à la culture personnelle des élèves. La première colonne sera renseignée par les élèves dans le plus joyeux désordre, et l’enseignant sera surpris, comme toujours lorsqu’il travaille en classe sur du visuel (cinéma, peinture, caricature) par la richesse des observations et l’enthousiasme des participants… La colonne consacrée à d’éventuels commentaires fera l’objet d’une discussion animée par l’enseignant, afin d’accréditer la valeur documentaire du film, en pointant la justesse du travail de documentation réalisé par l’auteur.

Quels éléments se rapportent explicitement
à la Première Guerre mondiale ?

Commentaires éventuels

 Les costumes : à décrire  Nous sommes en 16 : le costume de 1914 a été abandonné, dont le trop fameux pantalon rouge garance, qui faisait du soldat français une cible idéale ; les combattants sont coiffés de casques, ce qui en effet n’est vrai qu’à partir de 16
Les décors : la tranchée En 16, la tranchée est devenue un « lieu de vie » (et de mort) ; sommairement aménagée, profonde, elle matérialise un front stabilisé depuis la fin de 1914. Les lignes de front sont reliées entre elles par des tranchées et boyaux qui constitue un dédale élaboré (comme le montre le brillant travelling arrière qui accompagne la visite de Mireau)
L’usage du noir et blanc … qui rappelle les actualités d’alors, et qui fait signe vers une période lointaine, dont l’image obéit à des contraintes techniques révolues
Les dialogues  
Les indications écrites sur encarts immobiles Qui situent l’action sur l’un des fronts emblématiques de la guerre, et en un lieu, Verdun, qui appartient à la mémoire du XXe siècle
La musique : La Marseillaise Qui signale un contexte idéologique : le patriotisme valeur centrale dans le contexte mental du tournant du XIXe  et du XXe siècle

Ce travail réalisé, on en viendra à la description de la matière filmique : qu’est-ce qu’un film ?, demandera-t-on simplement aux élèves.  Il s’agira pour eux de classer tous les descripteurs utilisés dans le tableau précédent dans cinq catégories qui constituent exhaustivement la matière filmique : images animées, voix, sons d’ambiance, musique, textes.

Qu’est-ce qu’un film ?
Des images animées Les actions des personnages, les décors, les costumes etc
Des voix des voix « off », souvent celle d’un narrateur, qui explique ici où en est la guerre en 1916 / Des voix « in », les dialogues entre les généraux Broulard et Mireau …
De la musique accompagnant la narration, la dramatisant, la mettant à distance : la Marseillaise accompagnant le générique, et dont la charge ironique (comme celle du titre) ne peut se s’apprécier qu’après le visionnement du film.
Des sons d’ambiance renforçant « l’effet de réel » : le bruit des troupes manœuvrant, celui du moteur de la voiture
Des indications écrites Eléments de contexte, ellipses : le générique, puis l’indication en surimpression de l’écran : France, 1916

On commencera ainsi de décoder « l’effet de réel » produit par le film, qui explique l’étrange puissance du cinéma comme discours mimétique, et justifie en partie la lecture documentaire à laquelle nous nous sommes livrés.

 

  • Des recoupements du film avec l’historiographie de la grande guerre

 

Au-delà de ce regard positiviste facilement accessible à nos élèves, on pourra tenter d’accéder à un autre niveau de lecture du rapport film/histoire. Les sentiers développent en effet certaines analyses de la Grande Guerre parfaitement accréditées par les historiens, et qui ne portent plus sur des détails factuels, mais sur l’interprétation globale du conflit. On passerait ainsi de l’érudition à l’herméneutique, ou d’un regard positiviste à une évaluation historiographique du film de S. Kubrick. Il est assez facile, en effet, de montrer que l’idéologie du réalisateur rencontre une lecture historienne des événements, à charge pour l’enseignant de marquer ensuite les limites de cette coïncidence. Un travail de ce type exige, par hypothèse, un regard global sur l’ensemble de la trame narrative. Voici quelques exemples de ces thématiques qui orientent l’historiographie savante de la Première Guerre mondiale, et qui sont clairement mises en scène par Kubrick.

 

L’offensive à tout prix et le credo stratégique de l’encadrement militaire

 

Depuis la fin de la guerre « de mouvement » et la stabilisation des fronts de la fin de l’année quatorze, c’est bien une réalité que cet acharnement de l’état-major français (mais tout aussi bien allemand ) à lancer périodiquement des assauts meurtriers, dans l’espoir toujours renouvelé de percer le front adverse en un point invariablement « stratégique », ou à tout le moins avec l’intention d’user la résistance de l’adversaire, et de provoquer à court terme son effondrement. Ainsi, Joffre s’exclamait-il en 1915 (une année qui vit le massacre de 350 000 soldats) : « Je les grignotte »…On sait que S. Kubrick situe explicitement son film pendant la bataille de Verdun, et que, plus précisément encore, la « colline des fourmis » qui fait l’objet de l’offensive du général d’armée Broulard n’est qu’un déguisement du tristement célèbre Fort de Douaumont. Quant à Broulard, et à Mireau, comment ne feraient-ils pas penser à Nivelle, tenant décidé de l’offensive à tout prix et qui sera limogé au profit de Pétain ?

La « brutalisation » du conflit et la condition des soldats

 

Le thème de la « brutalisation » qui intervint dans les assauts lors de la Grande Guerre a fait une entrée remarquée dans l’historiographie, orchestrée, entre autres, par Stéphane Audoin-Rouzeau. Par « brutalisation », on entend les conditions nouvelles de la guerre et les souffrances inédites infligées aux combattants, souffrances jamais éprouvées jusqu’alors à un tel degré ; souffrances physiques mais aussi psychologiques, et qui firent de cette guerre, pour les survivants, une expérience presque incommunicable, rebelle au témoignage verbal ou à la transcription romanesque. S. Kubrick s’était emparé de la thématique bien avant qu’elle ne devienne dominante dans l’historiographie, comme le montrent les extraordinaires séquences consacrées à l’assaut ; comme le montre aussi, au début du film, l’altercation entre Mireau et un soldat qui a perdu la raison. Près d’un soldat sur sept a fait l’objet d’un suivi psychiatrique, pendant ces quatre années, et on a formé des médecins spécialisés massivement mis à contribution.

 

Les « mutineries » et les « fusillés pour l’exemple »

 

L’intrigue du film est construite autour de ce mouvement de soldats, qu’on associe en général à l’année 1917. Là encore, Kubrick retrouve l’historiographie, qui a beaucoup insisté sur l’impropriété du vocable : dans l’immense majorité des cas les « mutineries » n’ont été que des refus de monter en ligne ce qui est bien le cas dans le film. Contrairement aux allégations des instances responsables et de l’Etat-major, ces refus d’obéissance n’ont que rarement été suscités par des « politiques » appartenant à des courants socialistes ou syndicalistes, les « meneurs » de la littérature officielle. Il ne s’agissait que d’une réponse spontanée de la troupe rompue de désespoir et d’épuisement par la « brutalisation » qui affecte le monde du front. Kubrick est donc particulièrement fidèle à ces réalités historiques, lorsque l’un des ses sous-officiers répond simplement à Dax qui ordonne de monter à l’assaut : « C’est impossible, mon colonel ». C’est impossible sauf à se faire hacher par le feu ennemi, et non par l’effet d’une insidieuse propagande pacifiste. L’impossibilité de trouver des « meneurs » est d’ailleurs à l’origine de l’injustice sur laquelle se construit la suite du film, puisqu’il faut désigner arbitrairement des boucs-émissaires. Ceux-ci seront des « fusillés pour l’exemple ». Il n’est pas contestable que les tribunaux militaires condamnèrent des hommes à la peine capitale, et que les juridictions militaires obtinrent des délégations de pouvoir importantes de la part des pouvoirs civils, dans le contexte de l’année 1917.


La cohésion nationale et le patriotisme

 

C’est un aspect de la grande guerre sur lequel Kubrick attire aussi notre attention, et sans doute le fait-il malgré lui. Le film nie en effet, par la bouche de Dax, que cette valeur soit dotée d’une quelconque validité. Il n’en donne qu’une vision très négative, en l’incarnant dans la personnalité détraquée et paranoïaque du général Mireau. Mais c’est encore évoquer, fût-ce a contrario, le rôle de cette valeur dans la cohésion des soldats, et dans l’effarante capacité qu’ils manifestèrent, de 1914 à 1918, d’affronter l’enfer des tranchées. Or l’historiographie a beaucoup insisté, assez récemment, sur les conditions psychologiques du déclenchement de la guerre, et sur les attitudes collectives des soldats après le déclenchement des hostilités. De nombreux livres récents ont ainsi rendu compte du climat psychologique si particulier qui avait présidé au déclenchement du conflit, climat agonistique fait de fierté nationale, et d’un nationalisme souvent exclusif qu’avaient forgé la seconde moitié du dix-neuvième siècle dans la plupart des Etats d’Europe occidentale. Et l’on admet aujourd’hui que le secret d’une résistance à des souffrances aussi vives, et tellement vaines, de la part de soldats qui les endurèrent chaque jour, loin des leurs, taraudés par la peur, sans espoir de victoire, tient pour une large part dans l’existence de ce patriotisme, largement partagé, fort peu contesté, et qui perdura bien après les phénomènes d’Union sacrée des premiers mois.

 

 

Un film à thèse

 

Les remarques qui précèdent ont déjà permis de s’émanciper d’une vision documentaire naïve des Sentiers de la gloire : les élèves auront perçu l’écart entre un film d’histoire (et un tel film existe-t-il ?), et un film sur l’histoire, ou prenant l’histoire pour toile de fond. Dans la seconde partie de ce travail on aimerait montrer que la minutie d’une reconstitution documentaire, incontestable, est le support d’une thèse, et qu’un film de fiction, fût-il «film d’histoire», est aussi un texte idéologique qui cherche à faire prévaloir telle interprétation de l’événement, et à ancrer chez son spectateur une conviction. Nous quittons alors la dimension factuelle et documentaire, ou historiographique, pour rencontrer enfin la dimension esthétique. Dès lors, au-delà des ressorts idéologiques de la thèse, on peut en montrer aussi la grammaire cinématographique : comment l’auteur a-t-il choisi d’accréditer telle ou telle lecture de l’événement ? Dans l’arsenal des techniques à sa disposition, lesquelles a-t-il choisies, en prévision de quel effet ? Cette seconde partie du travail devrait donc être l’occasion d’aborder la spécificité du média cinématographique et de procéder à une « éducation au regard » de nos élèves.

Les notations qui suivent ne visent qu’à donner quelques exemples, et parfois quelques éléments de compréhension contextuels. Ils n’ont rien d’exhaustif.

 

  • Un contexte incertain, pour une démonstration à valeur universelle.

 

Une thèse à valeur générique : une guerre de nulle part ?

 

Montrer que Les sentiers de la gloire sont un film à thèse implique de revenir sur les acquis de notre première partie : nous avons reconnu sans peine la description des sauvages assauts de la bataille de Verdun, une hiérarchie militaire qui correspond bien à l’idée que nous nous faisons des chefs obtus, voire sanguinaires, qui ordonnèrent les grands massacres de ces quatre années. Pourtant, et malgré ces apparences, l’objet du film n’est pas la Grande Guerre ; c’est la guerre comme phénomène général affectant les sociétés humaines. Tel est le niveau d’analyse de Kubrick . Bien que dotée d’effets concrets, toujours identiques, la guerre décrite dans Les sentiers est une guerre abstraite, la matrice de toutes les guerres réelles. S. Kubrick lui-même l’a affirmé, il avait d’abord pensé à situer son film dans un pays imaginaire. C’est sans doute la signification du choix d’un Kirk Douglas pour incarner le colonel Dax. En 1957, au sommet de sa gloire, et malgré son immense talent, Kirk Douglas, tellement américain, ne pouvait imaginer convaincre le public de l’époque qu’il incarnait un personnage français. On rappellera aussi que le tournage du film eut lieu aux studios Geiselgasteig, en Allemagne.

Si le propos est général, pourquoi alors avoir choisi le contexte de la Première guerre mondiale ? On montrera aux élèves que le conflit de 1914-1918 a inauguré la plupart des caractères modernes de la guerre, jusqu’à une période très récente : guerre de conscrits, guerre de masse, « brutalisation », guerre industrielle, guerre totale etc. Analyste de « la » guerre, S. Kubrick pouvait ainsi faire un film sur la Grande guerre sans trahir un propos qu’il souhaitait universel.

 

Une guerre sans ennemi : L’ennemi intérieur. 

 

La guerre des Sentiers est une guerre qui surprend par l’absence de l’ennemi. A aucun moment nous ne verrons un soldat allemand. L’ennemi historique, l’ennemi des Français pendant la guerre est suggéré, pourtant, mais il ne porte aucune menace : c’est la jeune fille de l’avant-dernière scène, une victime, prisonnière ou réfugiée. S. Kubrick focalise le regard du spectateur sur une seule des parties en présence, sur le côté français, et il dissèque les effets internes de la guerre sur l’un des camps avec le regard d’un anatomiste. La malédiction de la guerre apparaît alors dans sa vérité : elle n’est pas la souffrance infligée par l’ennemi, mais le déchirement intime du corps social, entraîné dans une configuration schizophrénique qui oppose deux univers : celui des soldats du rang, celui des officiers. La guerre est une affection virale, cheminant comme une maladie dans un cerveau tourmenté, dont la métaphore pourrait être le cheminement de Mireau dans le labyrinthe de la tranchée, au début du film. L’ennemi est un ennemi intérieur. La guerre est une mutilation de soi-même. Le choix de ne montrer qu’une des parties en conflit s’éclaire parfaitement. Il arrive même, lorsque le général Broulard donne un bal, où l’on tourne sur des valses viennoises, que l’identification entre l’ennemi historique et l’ennemi intérieur devienne parfaite, suggérant que seul le second mérite pleinement notre défiance.

 

  • La déshumanisation des soldats, l’épanouissement des vices des officiers

Toute guerre est ainsi d’abord une guerre contre soi-même ; une société s’y fragmente, une personnalité s’y dissocie. Ainsi la guerre nie-t-elle l’humanité des hommes : lors de la reconnaissance de nuit, les trois hommes rampent à terre comme des insectes, dans cette zone dévastée qu’on nomme parfaitement le no man’s land : le territoire qui n’appartient à personne, certes, mais aussi cette terre désertée par les hommes, où l’on ne rencontre plus nulle humanité. La comparaison des hommes avec les insectes est explicite lorsque les trois boucs émissaires se retrouvent en cellule, dans l’attente de l’exécution : Le soldat Paris promis au peloton, se compare à un cafard, à l’avantage de celui-ci qui vivra plus longtemps que lui. L’ironie dérisoire de son camarade, qui écrase l’animal en disant à Paris «qu’il a repris l’avantage » ne fait que souligner la comparaison. Cette privation d’humanité caractérise d’ailleurs aussi « l’ennemi » et l’on se souvient que la position adverse, l’objet de l’attaque manquée était la « colline des fourmis ». Les allusions transparentes à des formes de vie inférieures sont constantes dans les Sentiers, à la fois langagières et iconographiques (la reptation des soldats envoyés en reconnaissance).

A la négation de la dignité des hommes du rang répond l’épanouissement des vices des officiers, ou l’expression libérée de leur névrose. La guerre selon Kubrick ressemble beaucoup au totalitarisme selon Raymond Aron, qui lui reprochait de « favoriser l’épanouissement de tous les vices de l’humanité ». Le général d’armée Broulard, sous ses dehors patelins et conciliants, est un dangereux animal politique, dont toute la conversation est faite de menaces à peine voilées et d’un cynisme absolu, que Dax finira par lui jeter à la face. C’est un carnassier rompu aux intrigues, donnant libre cours à ses pulsions sadiques dans le cadre parfaitement adapté de ses fonctions. Le général de brigade Mireau, dissimulé derrière son patriotisme sans concessions et un courage physique sans doute réel, est un authentique malade, un paranoïaque qui restera convaincu jusqu’au bout d’être le seul de toute cette histoire à n’avoir strictement rien à se reprocher. Dax est le seul officier supérieur s’attirant la sympathie du spectateur, comme le respect de ses hommes. C’est qu’il a très tôt choisi leur camp, c’est qu’il vit et dort avec eux, dans la tranchée.

 

  • Le temps de guerre : La suspension de la morale ordinaire

 

Désormais, la thèse centrale peut se déployer : pour Kubrick, le temps de guerre est un temps d’exception, un temps qui donne au mensonge la force institutionnelle qui est celle de la vérité en temps de paix, un temps qui suspend la morale ordinaire.

 

Une thèse assise sur des oppositions structurantes.

 

La thèse de Kubrick repose tout entière sur la désignation des effets psychologiques et sociaux de la guerre, et il est assez aisé pour nos élèves de repérer les moyens techniques et cinématographiques mis au service de cette démonstration. La dimension schizophrénique de tout conflit fait ainsi l’objet d’un répertoire particulièrement riche. En effet, le scission du corps social en temps de guerre autorise un ample traitement symbolique et sémantique : l’usage du noir et blanc, en 1957, n’est plus de l’ordre de la contrainte technique, et il suggère cette coupure de deux mondes séparés qui est le leitmotiv du film. Le film s’ouvre sur la visite de Mireau à Broulard, dont le quartier général est établi dans un imposant château de style baroque, manière sans doute de suggérer l’appartenance des officiers au monde de la tradition, et d’opposer leur recrutement aristocratique à celui, populaire et paysan, des soldats du front. Le château contre la tranchée ; les raffinements d’une culture qui est le luxe de ceux qui savent qu’ils survivront à la guerre contre l’expression brutale de l’angoisse et de la souffrance avant l’assaut ; l’héroïsme littéraire contre la résignation ; l’invocation de la patrie contre l’ironie glacée des condamnés. Un jeu permanent de structuration des oppositions, qui joue sur tous les moyens filmiques, permet à Kubrick de façonner le regard du spectateur, et de l’installer au cœur de sa démonstration. Dès ce que nous avons appelé le début du film, celui-ci est entré dans le système de Kubrick, il a identifié les deux parties, personnages collectifs, et il a saisi l’abîme qui les sépare à jamais.

 

L’attente morale du spectateur toujours déçue

 

Installé entre ces falaises de marbre, le spectateur du film de Kubrick ira dès lors de déception en déception. Avec une régularité jamais démentie, le film déjouera toutes les attentes morales et éthiques du spectateur. Des hommes seront condamnés et exécutés malgré l’évidence de leur innocence, évidence que personne ne nie, ni le spectateur lui-même, ou Dax qui lui prête ses yeux, mais pas même les officiers supérieurs, soit les bourreaux responsables du jugement et de l’exécution. A maintes reprises en effet le spectateur peut s’imaginer que la manifestation de la vérité adviendra enfin, et que trois hommes seront sauvés d’un sort injuste. Dax commence par tenter de dissuader Mireau et Broulard de juger des hommes pour l’échec de l’attaque ; peine perdue, et Mireau concèdera, avec un vif sentiment d’être désavoué par sa hiérarchie, qu’on ne juge que trois hommes, au lieu des cent qu’il eût souhaité. A l’issue du procès, la plaidoirie de Dax, qui s’achevait par un appel sentimental à l’humanité des jurés, peut soutenir un espoir. Mais le montage, qui fait brutalement succéder au procès un plan consacré au « briefing » du peloton d’exécution, consume cet espoir. Puis, Dax tente une dernière fois de sauver ses hommes ; il a compris cette fois-ci qu’il ne saurait être question d’en appeler aux valeurs d’humanité et de justice, mais qu’il est engagé dans un tout autre jeu que celui qui a cours en temps de paix. Nous lui pardonnons alors d’employer les moyens de ses adversaires, et de se livrer lui aussi au chantage : il menace de jeter le discrédit sur une armée dont certains chefs peuvent ordonner qu’on tire sur leurs propres hommes ; et c’est bien, en effet, ce qu’a tenté de faire Mireau, pendant l’attaque de la colline des Fourmis. Il semble alors toucher un point aveugle et Broulard paraît troublé par la menace. On se prend à espérer que le chantage réussisse où l’invocation de la justice a échoué. Et cet espoir se nourrit subtilement de l’idée que toute la démonstration de Kubrick pourrait être là : en temps de guerre, si la justice triomphe, c’est dans la mesure même où elle recours au procédé moralement condamnable du chantage… Le film déjoue pourtant cette attente au second degré. Une fois encore, le montage juxtapose l’image d’un Broulard apparemment indécis à celle de l’exécution qui se prépare, et que rien n’arrêtera, pas même le coma de l’un des condamnés fusillé comme ses camarades malgré son hébétude.

 

La scène du procès est une illustration ramassée de tout ce qui précède, et mériterait une attention séparée : pour la première fois, tous les participants sont de l’intrigue sont réunis dans un même lieu ; la barrière sociale et institutionnelle n’a pourtant jamais été aussi nettement exprimée que par le déséquilibre de leurs positions respectives, les uns accusés, les autres accusateurs implacables. C’est une telle scène, marquée par une esthétique baroque appuyée et une grammaire hallucinatoire de l’image, qui pourrait donner l’occasion d’un travail sur les techniques cinématographiques au service du discours.

 

A ce stade, on aura exhibé la thèse de Kubrick, et montré que le cinéma offre un répertoire de techniques signifiantes, de la prise de vue au montage, et que l’effet de réel n’en est pas moins un effet de discours. On se sera définitivement éloigné d’une lecture positiviste

 

  • Une thèse qui limite la portée historique du film

 

Sans doute peut-on en rester là avec une classe. On peut pourtant avancer dans la lecture critique, pour montrer qu’il vient forcément un moment où  le film « historique » et « film à thèse » interfèrent au point de se compromettre mutuellement. Les moyens filmiques mis au service de la thèse en limitent finalement la portée historique. A ce sujet, Marc Ferro parle de « l’accumulation à valeur dramatique de situations exceptionnelles ou extrapolées ». A juste titre sans doute, et l’on n’en donnera qu’un exemple. Ainsi de l’épisode où Mireau ordonne qu’on tourne la mitrailleuse sur les lignes françaises qui refusent de monter à l’assaut. Il pourrait suffire de rappeler qu’aucun fait de cette sorte n’a jamais été avéré par l’historiographie du commandement français pendant la Grande guerre. Mais il est plus remarquable que l’épisode soit en réalité emprunté à l’histoire du cinéma (et non à l’histoire), puisque la scène des sentiers est un détournement d’une scène de Westfront 1918, tourné en 1930 par W. Pabst. Dans Westfront, ce n’est pas par la volonté d’un maniaque que les lignes allemandes sont mitraillées par leurs propres armes lourdes, mais c’est par l’erreur des artilleurs qui ont mal ajusté la visée. Bref, la thèse de Kubrick s’alimente moins aux sources du réel qu’à cette autre histoire, esthétique celle-ci, dont toute oeuvre, même « historique » est tributaire. Dans la même ligne, la réduction des responsabilités de la guerre à l’ambition, aux traits caractériels, à l’appartenance de classe des officiers supérieurs ou à leur incompétence, si elle appartient bien au fonds commun de la critique antimilitariste, peine évidemment à tenir le rôle d’une explication historique.

Westfront est encore intéressant à un autre titre : le film à donné lieu, vraisemblablement, à une autre scène importante des Sentiers, celle, énigmatique, où une jeune prisonnière allemande est introduite devant les soldats français, et chante pour eux The faithful soldier. L’assistance se moque d’abord de sa terreur ; elle est cet ennemi jusqu’alors absent du film. Puis les moqueries font place au silence et à une émotion intense, et les soldats, des fils, des frères, des pères, se mettent à chanter avec la jeune fille, à pleurer, même, pour certains d’entre eux. Dax observe la scène de l’extérieur ; il ordonne qu’on leur laisse encore cinq minutes avant de remonter à l’assaut.

Cette scène, très caractéristique dès cette époque des « fins de film » de Kubrick, a donné lieu à de nombreux commentaires embarrassés. Sa cohérence n’apparaît pas dès l’abord. Pour une lecture naïve et sentimentale, c’est un « happy end » par lequel tous les hommes apparaissent réunis et solidaires dans la souffrance, vibrant à l’unisson de cette jeune femme terrifiée et  pitoyable, qui n’est plus qu’une victime, semblable à la troupe, une seule et même façon d’être heurté de la guerre. Il est peu vraisemblable que ce soit là le sens ultime de cette scène. Pour la plupart des commentateurs, il s’agit d’une mise en garde contre cette sentimentalité superficielle même, qui fait oublier aux hommes l’iniquité du procès et de l’exécution qui viennent d’avoir lieu, et ne fait que les préparer à subir encore et toujours la guerre et sa violence, l’incompétence du commandement, et plus généralement l’injustice sociale. Enfin, les plus cinéphiles des critiques vont jusqu’à suggérer une mise en abyme subtile dans laquelle les soldats assistant à l’apparition de cet ennemi méconnaissable et qui va les émouvoir ne sont qu’une métaphore du spectateur lui-même, assistant à un film de cinéma, et adoptant la même passivité niaisement sentimentale à l’égard des conventions narratives, se laissant en particulier conduire docilement au happy-end , devenu en 1957, depuis longtemps déjà, une tradition hollywoodienne difficile à transgresser.

Quelque solution qu’on retienne, elle fait problème. Qu’on interprète la scène dans le sens d’un humanisme optimiste ou comme une ironie démiurgique et pédagogique, il reste que ni le pari humaniste ni la mise en garde critique n’empêchent les hommes de retourner se battre, et tout continue comme avant, et rien n’a changé. Le cynisme des officiers triomphe à tout coup de la fraternité des hommes de troupe. Mais aucune explication susceptible de prendre validité historique n’est avancée pour expliquer que, après le bref délai accordé par Dax, ces mêmes hommes, qui viennent de démasquer le pouvoir militaire, son iniquité et sa veulerie et qui ont vu le roi nu, accepteront pourtant de remonter en ligne. L’explication psychologique de l’acceptation de la contrainte paraît bien courte pour rendre raison de l’extraordinaire constance des combattants. C’est là sans doute que Kubrick, ayant déroulé la thèse jusqu’au bout, rencontre une limite de cette même thèse, incapable de rendre compte du fait historique et réel que les soldats sont bien retournés se battre, pendant quatre ans, dans des conditions inhumaines. Il est vraisemblable que l’assimilation du patriotisme à un sentiment de classe exclusivement réservé aux officiers, voire à une maladie mentale incarnée par un Mireau lui interdisait de proposer une explication valable historiquement et qui eût justifié la fin de son film.

 

Un film inscrit dans une histoire

 

Film à valeur documentaire selon une lecture positiviste, film à thèse affranchi de l’histoire selon une lecture idéologique et politique, Les Sentiers de la gloire peut enfin se lire comme un document qui réintègre la dimension historique, si l’on entend par « histoire » une temporalité externe, non pas celle que pointe explicitement le film, mais celle qui s’est imposée à lui de l’extérieur.

 

  • Les réactions à la sortie du film

 

On sait que le film n’est pas sorti en France en 1957, qu’il n’est devenu visible par le public français qu’en 1975, et qu’il n’a été programmé à la télévision, sur la chaîne Arte, et fort tard dans la soirée, qu’en 1991. Le film n’a pas été censuré, contrairement à une légende tenace, mais on a seulement omis de le présenter à l’obtention du visa de publication, une certification sans laquelle aucune projection publique n’était possible.

En revanche, le film fut projeté en Belgique, brièvement, avant d’être retiré des écrans sur décision administrative. En effet, à l’occasion d’une représentation, des anciens combattants (de quelle guerre ?) avaient pris à parti des spectateurs ; ceux-ci avaient répliqué, et l’on en était venu aux mains. C’est dire que, en 1957, le film s’inscrivait dans une histoire qui restait fort présente à l’esprit des anciens combattants qui provoquèrent les échauffourées, mais peut-être aussi à celui des spectateurs qui estimèrent important de leur répondre avec virilité. De ce point de vue, Les sentiers, en 1957, étaient bien un film « historique », qui s’inscrivait dans une histoire politique et passionnelle. Cette historicité fut d’ailleurs jugée suffisamment claire pour qu’on suspende les projections. En France, l’historicité des Sentiers, entendue dans ce sens, avait été suffisamment perçue pour que personne ne mette trop de zèle à réparer la bourde fortuite qui avait soustrait le film aux procédures d’autorisation. Bref, en 1957, la guerre de 1914-18 n’avait pas encore le statut de celle de cent ans : il restait difficile d’en parler avec la liberté totale que prenait Kubrick.

 

  • La « censure » et ses raisons

 

L’historicité des Sentiers peu encore s’entendre autrement, et la censure déguisée dont il fit l’objet. Guerre de nulle part, avons-nous dit. Sans doute. Mais aussi métaphore et matrice de toutes les guerres. En 1957, la France avait des raisons parfaitement identifiables de ne pas souhaiter qu’un public trop vaste vît le film de Kubrick. A cette date, les « événements » d’Algérie avaient commencé depuis 1954, et la guerre était devenue la grande affaire de la quatrième République impuissante. Comme la guerre de quatorze et comme celle que montrait Kubrick, c’était une guerre d’appelés du contingent, qui suppléaient les troupes de carrière trop peu nombreuses ; comme elle, c’était une guerre qui se cachait et qu’on cachait en recourant à une propagande éhontée. En quatorze aussi la propagande était devenue un mode de gouvernement ; elle avait d’ailleurs annexé le cinéma naissant. Enfin, la mise en cause du commandement à laquelle se livrait Kubrick pouvait faire soupçonner les responsables des opérations de 1957. Bref, Les sentiers de la gloire ne sont pas un document d’histoire, c’est un texte idéologique qui n’a pas la valeur d’une analyse historique, ou alors très partielle ; mais les contemporains lui ont donné une signification historique très claire, en le chargeant de leurs préoccupations politiques du moment. Non pas « film d’histoire », il s’agit bien, au moment de sa réception, d’un film qui implique une histoire.

On aura garde aussi de mentionner que Kubrick, réalisateur américain, réalisa Les sentiers de la gloire quatre ans après la fin de la guerre de Corée, premier conflit militaire de grande ampleur de la guerre froide, et que cette conjoncture, à n’en pas douter, n’est pas sans signification quant à l’historicité du film.

 

Les sentiers de la gloire et une certaine histoire du cinéma

 

Enfin, l’historicité du film doit s’envisager aussi en fonction d’une trame qui est l’histoire du cinéma elle-même, histoire technique d’un médium, histoire culturelle d’un genre, le film de guerre et ses dérivations, histoire particulière d’une œuvre faisant émerger progressivement ses thèmes privilégiés et les moyens mis à leur service.

 

La matrice technique 

 

Il est remarquable que nous n’ayons à notre disposition que fort peu d’images « authentiques » des combats de la première guerre mondiale. Quelques minutes tout au plus, tournées du côté allemand. Une telle pénurie s’explique aisément par les conditions techniques de l’époque, les lourdes caméras à manivelle devaient en effet être hissées sur le parapet des tranchées puis manœuvrées par des opérateurs qui risquaient d’être abattus à tout instant. Les règlements militaires interdisaient par ailleurs le port d’appareils photographiques personnels aux soldats. Cette absence n’a pas empêché pourtant la Grande Guerre d’avoir donné lieu à une débauche d’images toujours asservies aux fins du commandement et de la propagande. Innombrables mises en scène de lignes arrières où l’on grime la guerre en une partie de campagne bon enfant, où les soldats improvisent de bon cœur une vie de plein air revigorante et toute remplie de plaisirs simples. Ce sont ces images qu’on montre à l’arrière : tranchées impeccables, uniformes serrés, sourires des hommes, et un fumigène éclatant de-ci de-là, car le front, n’est-ce-pas, n’est pas loin. La première des « guerres propres », promises à une longue postérité. Ajoutons que la jeunesse du médium cinématographique joue en faveur de ces images : comment pourraient-elles mentir ? Comment imaginer que ces hommes si réels qu’on pourrait les toucher et qu’on montre aux actualités ne sont pas des hommes du front et que la guerre se passe tout autrement ? On considère avec raison que dans l’histoire de la propagande de masse, la Première Guerre mondiale est une période inaugurale. Mais le paradoxe est étonnant : les combats dont nous ne possédons d’enregistrement visuels que limités à quelques minutes ont donné lieu à une pléthore d’images fabriquées absolument considérable. Les images de propagande commandées au moment même sont fort pauvres sur la guerre elle-même, et il faudra attendre les années trente pour que la fiction montre enfin cette vérité que le reportage avait soigneusement dissimulée. La rareté des images du front a laissé au cinéma de fiction la charge de dire la vérité du conflit. Ainsi s’expliquent les grands films élaborés en fonction des témoignages de survivants, en particulier, du côté français, Barbusse et Dorgelès, Remarque du côté allemand. Ici, la fiction, en osant se dépouiller des oripeaux de la raison d’Etat et des nécessites du temps de guerre, au premier rang desquelles le mensonge, valut condition de véracité. Le film de Kubrick s’inscrit dans cette filiation et ce paradoxe d’une fiction qui est notre seule mémoire visuelle de la première guerre mondiale.

 

La matrice culturelle 

 

Autre inscription dans une histoire, on montrera aussi comment un film appartient éventuellement à un genre, fût-ce pour s’en écarter et se déprendre d’une telle histoire : « film de guerre », « film sur la première guerre mondiale », « film antimilitariste » etc. On commencera par rappeler que le titre même du film, Paths of glory, est une allusion directe à la tradition, puisqu’il pointe le The Road to Glory de Howard Hawks, daté de 1936, et traduit par Les chemins de la gloire, une filiation ironique dont la traduction française du titre des Kubrick rendait bien compte elle aussi. Un certain nombre de comparaisons pourraient alors être bienvenues, avec Les Croix de bois (Raymond Bernard, 1930),  All quiet on the Western front(A l’ouest rien de nouveau, Lewis Milestone, 1930) pour la vision de la guerre, ou encore le Westfront 1918  (1930) de GeorgWilhelm Pabst déjà cité et dont on a vu qu’il avait inspiré certains choix dramatiques du Kubrick. King and country , (Pour l’exemple, 1964, Joseph Losey), serait un excellent contrepoint des Sentiers, pour travailler sur le discours antimilitariste.

 

La matrice esthétique et idéologique 

 

Enfin, l’historicité des sentiers prend sens au cœur d’un projet ou d’une trame qui est l’œuvre ultérieure de Kubrick. La guerre y tient, comme on sait, une place prépondérante, avec Docteur Folamour (1964), Barry Lyndon (1975) ou Full Metal Jacket (1987). Au-delà des comparaisons thématiques et du rapprochement des visions de la guerre, on pourra éventuellement introduire des notions qui serviront à caractériser cette œuvre en certaines de ses constantes : baroquisme, expressionnisme, des tendances largement préfigurées dans Les sentiers de la gloire.

 

Vincent BOCQUET