2001 en 1968

La critique US en 68: «Un manque d'imagination monumental»

 

«L'Odyssée» a provoqué partout une véritable bataille rangée entre ses partisans et ses adversaires.

Par Norbert Creutz

 

Dès sa sortie en 1968, 2001: l'Odyssée de l'espace est devenu l'un des films les plus commentés de l'histoire du cinéma. Il fut d'abord descendu en flammes par les premiers critiques américains à le voir: «Un manque d'imagination monumental» (Pauline Kael, la critique la plus influente d'Amérique du Nord à l'époque), «un désastre» (Andrew Sarris, chroniqueur très respecté), «2001 n'est pas une date dans l'histoire du cinéma» (jugement du magazine Variety, bible du show-business). Pire: cette sévérité était partagée par les premiers spectateurs-test qui rirent devant les singes du prologue et finirent par traiter Stanley Kubrick de m'as-tu-vu. Le cinéaste, qui était d'habitude assez sûr de son fait pour se passer de projections-tests, tint compte des remarques et raccourcit son film de 17 minutes. Enfin prêt à affronter le public, 2001 donna lieu à une belle bataille rangée entre les «pro» et les «anti», à peine moins tranchée en Europe. Florilège.

 

CONTRE

 

Michel Aubriant, «France-Soir»: «Je l'avoue avec honte et tristesse: je n'ai pas compris grand-chose au message métaphysique de Stanley Kubrick et j'en ai éprouvé une vive irritation; ou alors ce que j'ai compris m'a semblé si élémentaire et si naïf que je me suis demandé pourquoi accumuler tant de mystères pour aboutir à si peu.»

Claude Mauriac, «Le Figaro littéraire»: «A l'approche de Jupiter, Stanley Kubrick nous en met très exactement plein la vue. Des effets optiques recréent un univers moins étrange qu'il voudrait nous le faire croire. Images qui, pour le meilleur, évoquent un autre univers, infini lui aussi, mais intérieur: celui qu'Henri Michaux nous à révélé. Et pour le pire, le psychédélisme à la mode. Pur graphisme, tachisme mouvant aux couleurs changeantes, images déformées de notre monde essayant de recréer celles de l'autre. Poudre aux yeux. Vertige. Luna-park de l'infini.»

Yvonne Baby, «Le Monde»: «Le présent dynamiquement projeté dans le futur est sans doute ce qu'il y a de plus captivant dans ce film qui est plus une approche de la science qu'une œuvre de science-fiction proprement dite et, parallèlement, une assez troublante odyssée humaine autant qu'un discutable et équivoque conte philosophique. [...] Par sa fin, le cinéaste semble vouloir dépasser la science et tenter d'atteindre l'absolu, ou Dieu, dans une quête en définitive plutôt naïve et véhémente.»

 

POUR

 

Pierre Billard, «L'Express»: «La plus belle chose que nous puissions éprouver, c'est le côté mystérieux de la vie. Là où se trouvent le berceau de l'art et la science véritable.» Cette phrase d'Einstein, Stanley Kubrick aurait pu la placer en épitaphe. [...] Film scientifique, prophétique, métaphysique, film musical et film d'aventures, 2001: l'Odyssée de l'espace se meut à l'aise dans la quatrième dimension, celle de la poésie.»

Jean-Louis Bory, «Le Nouvel Observateur»: «L'invitation à la valse s'étend des planètes aux années-lumière, de l'espace au temps. [...] Pourquoi parler des trucages? On se doute bien que ce n'est pas tourné en direct. Je ne tiens pas à savoir comment c'est fait. c'est beau, voilà ce qui m'intéresse. Et l'image est parfois si savamment dé-verticalisée que vous voyez ce film en état d'apesanteur.»

Freddy Buache, «La Tribune de Lausanne»: «Kubrick signe un film qui a coûté des millions de dollars et qui se présente aussi personnalisé, imaginatif, non conformiste qu'une petite production underground. C'est que la passion, la lucidité et l'inspiration animent ce metteur en scène. Son œuvre est à la fois populaire et digne de l'avant-garde la plus avancée. A tous les niveaux, elle représente une réussite éblouissante. Pour la première fois, nous avons vu un film de science-fiction vraiment adulte.»