2001 et ses effets spéciaux

Par Thomas Maksymowicz du site Urbuz

 

Si le cinéma a évolué techniquement avec l'œuvre de Stanley Kubrick, le domaine des effets spéciaux a littéralement changé de visage après 2001, l'odyssée de l'espace. Ce film, qui fait référence pour nombreux cinéastes contemporains, James Cameron en tête, a fait énormément progresser trois spécialités distinctes : Les effets mécaniques de plateaux, les effets spéciaux de maquillages, et les effets spéciaux optiques.

 

Histoires de singes

 

Stuart Freeborn est une légende dans son milieu. Grand gourou des prothèses faciales, ce maquilleur est en effet le premier à concevoir des masques en plusieurs parties, permettant au visage du comédien de gagner en mobilité. Seulement cette technique, il ne pourra vraiment la mettre en œuvre qu'à partir de son film suivant, la mythique Planète des singes. Aussi, les visages simiesques de 2001 supportent mal le gros plan. Kubrick, qui a très bien compris ce manque de mobilité (et donc d'expressivité) des visages, décide alors de filmer les hommes-singes en gardant toujours une certaine distance. La clef de la réussite va ainsi passer par le biais de la performance corporelle des comédiens et du travail de Freeborn, en tous points remarquable, sur les costumes.

Il est important de souligner que le seul film de Kubrick qui utilise des techniques pointues de maquillage, a vu travailler les deux plus importants spécialistes de l'époque. Dick Smith, qui s'est chargé des vieillissements successifs de Keir Dullea, et Stuart Freeborn ont, à eux deux, inventé le maquillage moderne. Ils sont en outre responsables de la vocation (Freeborn) et de la formation (Smith) du plus grand spécialiste contemporain, Rick Baker (Le loup-garou de Londres, Greystoke, Gorilles dans la brume, Men in Black), ancien assistant de Dick Smith, qui ne compte plus les oscars et les créations toujours plus stupéfiantes. Il est curieux donc de penser que le gorille géant de Mon ami Joe est le descendant direct des primates de 2001, l'Odyssée de l'espace.

 

La grande roue

 

Toute la conception artistique de 2001 a été fondée sur le principe d'une anticipation crédible du futur. L'Amérique, alors en pleine conquête spatiale, dépensait sans compter dans la recherche. Le film de Kubrick a pu ainsi bénéficier des dernières avancées dans le domaine. Un des principaux concepts que 2001 cherchera à représenter sera la recréation d'une gravité artificielle dans l'espace. Au début du film, la station de relai orbitale, de forme circulaire, tourne sur elle-même afin de redonner, grâce à la force centrifuge, une pesanteur aux hôtes qui circulent à la périphérie du cercle. Ce concept, physiquement concevable, est de nouveau mis en scène dans l'astronef où se joue le drame du film. A l'intérieur du Discovery, une autre centrifugeuse, plus petite, tourne sur elle-même, pour recréer une gravité.

 

Afin de réaliser les plans saisissants où l'astronaute Bowman court littéralement sur les murs, la production ne lésine pas sur les moyens et fait construire le décor en taille réelle. Une énorme centrifugeuse, de douze mètres de diamètre, montée sur un axe, est édifiée. Tous les détails de l'intérieur de vaisseau y sont reproduits, y compris les écrans de contrôles et les yeux de HAL 9000, l'ordinateur de bord. La complexité logistique d'un tel décor est énorme, car il s'agit d'incorporer un système d'éclairage cinématographique, une climatisation, les accessoires électroniques du décor, et tout le matériel de tournage dans une structure qui tourne sur elle-même. Les efforts que représente une telle entreprise étaient indispensables pour atteindre les résultats escomptés. Pour les quelques plans du footing spatial, rien que le travail de synchronisation entre la vitesse de la roue, la course du comédien, et celle de la caméra était un véritable casse-tête.

 

"Space ballet"

 

Tout comme Kubrick, Douglas Trumbull est une sorte de génie. 2001 doit énormément à cet homme sans qui Star Wars n'aurait certainement pas existé. Lorsque Kubrick appelle ce jeune Américain afin de travailler sur le développement visuel des astronefs de son film, il ne sait pas encore qu'il va créer le premier système de "motion control" (littéralement : contrôle du mouvement). Le mouvement en question est celui de la caméra qui filme les maquettes des astronefs : il doit pouvoir être reproduit plusieurs fois, au millimètre près.

Pour des raisons photographiques, il est impossible de filmer en même temps une peinture sombre représentant un fond étoilé et une maquette d'astronef fortement éclairée. La maquette et le fond étoilé, dans lequel on aura intégré un cache reproduisant la silhouette du vaisseau, sont donc filmés séparément. La maquette et le cache sont ensuite superposés pour composer le plan final. Mais pour cela il faut que le cache et la maquette se positionnent sur la pellicule exactement de la même manière. D'où la nécessité de maîtriser et d'enregistrer parfaitement le mouvement de l'appareil. Or, en 1965, le contrôle automatisé des caméras ne bénéficie pas de l'informatisation actuelle. La motion control de Trumbull fonctionne donc avec des systèmes électroniques rudimentaires et des chronomètres intégrés.

 

Le tour de force de Trumbull sera d'arriver à un résultat parfait avec des systèmes d'enregistrement peu fiables. Dix ans plus tard, en formant des gens comme Denis Murren et Ken Ralston, il franchira un nouveau cap en augmentant sensiblement la vitesse de la motion control et par là même, la vitesse des astronefs. Star Wars sera la révolution cinématographique que l'on sait et volera la vedette à 2001 dont les panoramas spatiaux tiennent pourtant la route, plus de trente après.

La centrifugeuse et les ballets spatiaux de 2001, l'odyssée de l'espace, les bougies de Barry Lyndon ou la steadycam de Shining, pour ne citer que ces exemples, illustrent une qualité rare. La logique de Stanley Kubrick veut que, quelle que soit l'ambition visuelle d'un projet cinématographique, même la plus folle, il existe une solution efficace pour la mettre en scène. Peu de cinéastes aujourd'hui font preuve de la même exigence : seuls les projets de James Cameron (Abyss, Titanic), de Steven Spielberg (Les dents de la mer, Rencontre du troisième type, Jurassic Park) et de Georges Lucas ont pu rivaliser en termes de pari technique avec les 2001 et autres Shining. Certains souligneront le fait que ces réalisateurs soient aujourd'hui les seuls à pouvoir obtenir les moyens de leurs ambitions. Il ne faut cependant pas oublier que, pour ces trois personnalités, tout comme pour Stanley Kubrick, l'évolution artistique de leur conception du cinéma est complètement dépendante de l'évolution des techniques et de l'énorme investissement humain qu'elle requiert.

 

Sources :

- Dossier Kubrick Positif / Rivages

- American cinematographer

- 2001, filming the future, de Piers Bizony, 1994, Aurum press