La fiction garde quelques longueurs d'avance

 

Hal 9000, l'ordinateur émotif qui dialogue avec les humains, fait encore rêver les informaticiens.

 

Par Gaël Hürlimann

 

Hal 9000, l'ordinateur omnipotent de 2001 l'Odyssée de l'espace», rappelle l'invention du baron Von Kempelen en 1769. Son automate, le Turc, battait alors aux échecs le roi Napoléon lui-même. Dans le film de Stanley Kubrick, l'immense machine électronique défait en trois coups l'astronaute Frank Poole. On sait que le Turc cachait en réalité un être humain dans ses entrailles. Hal, le grand émotif qui comprend l'anglais, reconnaît ses compagnons de route et dialogue avec eux ressemble lui aussi, dans son comportement, à un être humain enfermé dans un caisson. Mais les scientifiques dissertent depuis trente ans pour savoir si un tel ordinateur, doté d'une intelligence identique à celle de l'humain, relève du fantasme *.

 

«En ce qui concerne les échecs, l'avancée technologique a été énorme : Big Blue, l'ordinateur d'IBM, a battu le champion Garry Kasparov en 1997. Hal est de ce point de vue dépassé», explique Hervé Bourlard, directeur de l'IDIAP (Institut Dalle Molle d'intelligence artificielle perceptive) à Martigny. Les règles des échecs sont très formelles, ce qui facilite la tâche de la machine.

 

Mais les informaticiens qui ont influencé l'auteur du film dans les années 60, ont dû déchanter à plusieurs égards. Leur rêve d'un ordinateur intelligent, reproduisant à l'identique le fonctionnement du cerveau humain jusque dans ses émotions, ne s'est pas réalisé. «L'échec a été tel que le terme même d'«intelligence artificielle», qui était très à la mode à l'époque, fait aujourd'hui ringard dans

la communauté scientifique», s'amuse Hervé Bourlard. «Les chercheurs d'alors avaient des formations en psychologie. Aujourd'hui, les informaticiens se basent sur des connaissances mathématiques.»

La recherche a tout de même généré des avancées spectaculaires. Hal reconnaît la parole? Désormais, on peut surfer sur le Net par téléphone (par exemple avec un système comme www.tellme.com). L'œil d'Hal voit les astronautes? Microsoft met au point dans ses labos européens un système qui permet aux webcams de détecter un visage. Et la recherche avance à grands pas et intéresse autant les industriels que les scientifiques de l'EPFL ou de l'Uni de Genève dont plusieurs équipes travaillent dans la reconnaissance de la parole et des formes.

 

Mais Hal 9000 relève toujours du fantasme quand il montre des émotions ou juge les talents artistiques de l'équipage du vaisseau. Impossible de rendre une machine vraiment «intelligente», capable d'apprendre les règles de fonctionnement de l'univers social. Difficile également de concevoir une machine qui ressent des émotions ou les comprend. L'avancée dans la reconnaissance de la parole ou la compréhension des images passe pourtant par là: le ton donné à une phrase peut par exemple en changer le sens. «Pour le moment, nous séchons. Les ordinateurs n'ont pas de bon sens et on ne sait pas comment le leur apprendre. L'approche mathématique qui prévaut aujourd'hui devrait peut-être réintégrer des éléments de psychologie», explique Hervé Bourlard.

 

* Hal's Legacy: 2001's Computer as Dream and Reality de David Storck, MIT Press, 1996.