"2001" défie le temps en 2001
Luxueusement réédité, le film culte de Stanley Kubrick témoigne de l'ambition de l'artiste et de la rigueur de sa réflexion.
La ressortie en salles de 2001, Odyssée de l'espace, deux ans exactement après la mort de Stanley Kubrick, est l'occasion de quelques effets d'optique mensongers ou attrayants et d'un nouveau regard sur une œuvre qui, depuis sa réalisation en 1968, n'a cessé d'inspirer des réactions complexes. Parmi les effets d'optique contestables figure la rumeur selon laquelle la version aujourd'hui distribuée non seulement retrouve le format 70 mm d'origine et bénéficie d'un son restauré mais aussi qu'il s'agirait d'une version plus complète que celle distribuée en 1968, suite à des coupes pratiquées par Kubrick après le mauvais accueil des premières projections.
" C'est un mythe ! Une pure invention ", s'insurge Christiane Kubrick, la veuve du cinéaste.
" Il n'y a qu'une seule version du film, celle qui est sortie à l'époque et qui ressort aujourd'hui. Stanley avait le contrôle artistique sur ses films et il n'aurait jamais laissé sortir une version qui ne lui convenait pas. Il a, comme toujours, travaillé sur le film jusqu'à la dernière minute, ces coupes ont été décidées sur le bateau qui l'emmenait à New York pour la première, où a été projetée la seule et unique version du film. " Il existe pourtant deux petites exceptions à la règle de l'intangibilité des œuvres de Stanley Kubrick, l'une de son fait (la version américaine de Shining est légèrement différente de la version européenne) et l'autre décidée après sa mort : l'ajout d'images électroniques pour masquer les scènes de nu dans Eyes Wide Shut dans la version distribuée aux Etats-Unis.
Christiane Kubrick affirme que l'essentiel des fameuses coupes effectuées sur le transatlantique ne visaient qu'une meilleure fluidité du récit sans rien modifier à celui-ci. Elle se souvient pourtant, avec une pointe de regret, d'une " très belle scène " située sur la Lune, où les terriens ont reconstitué un parc, " avec un lac et des cygnes ".
Autre effet d'optique, plus ludique, induit par la réédition du film, la comparaison entre l'anticipation imaginée à la fin des années 1960 et notre réalité quotidienne. Kubrick se tire avec les honneurs de l'exercice : si les uniformes et le design gardent une touche des sixties, rien dans le film n'est ridicule, ni profondément contredit par l'évolution du dernier tiers du XXe siècle.
De toute façon, " il n'avait pas conçu le film pour qu'il survive à l'arrivée de la véritable année 2001 ", dit Christiane Kubrick, qui se rappelle pourtant avoir guetté en compagnie de son mari les premières images télévisées de la Terre vue de l'espace, et le cinéaste s'exclamant " Oh ! je l'ai faite trop claire ! " lorsqu'il découvrit la teinte d'un bleu soutenu de la planète. Surtout, " son histoire est complètement moderne, et nous ne possédons toujours pas les réponses aux questions essentielles qu'il pose. Il n'y a pas de raison que le film vieillisse ", souligne Jan Harlan, collaborateur de Kubrick depuis 1969, frère de Christiane, et auteur du documentaire Stanley Kubrick, a Life in Pictures, riche de nombreux documents inédits et de témoignages de première main, dont ceux de Woody Allen, Jack Nicholson, Nicole Kidman, György Ligeti, Malcolm McDowell, Tom Cruise (qui dit le commentaire), Steven Spielberg, Sydney Pollack ou Peter Ustinov.
Christiane Kubrick, qui est peintre, souligne quant à elle que la principale différence entre le monde imaginé à l'époque et ce qu'il est aujourd'hui concerne la couleur : " Nous avions prévu que la couleur dominante serait le blanc, la réalité du modernisme est beaucoup plus sombre. " Pourtant, si l'auteur de 2001 est certainement le premier cinéaste à avoir donné autant d'importance au mot " science " qu'au mot " fiction " dans l'expression " science-fiction ", s'il a non seulement étudié toute la documentation disponible à l'époque dans tous les secteurs scientifiques concernés et mobilisé les ressources de la recherche la plus avancée, " souvent, à la fin, il fallait s'en remettre à l'imaginaire, et beaucoup de choix ont été des choix esthétiques plutôt que techniques ", confie son épouse.
Ce sont ces choix, et l'élégance rigoureuse de la mise en scène, qui frappent le plus lorsqu'on revoit aujourd'hui ce qui est considéré à présent comme un chef-d'œuvre culte. " Culte ", 2001 l'est assurément, au double sens d'avoir été mal accueilli à sa sortie avant de conquérir une reconnaissance considérable, et d'avoir influencé non seulement d'innombrables films (pas seulement de science-fiction) mais tout un univers visuel de publicité, de bande dessinée, de clips et de jeux vidéo. Un chef-d'œuvre ? C'est moins assuré que des films immédiatement précédents (Lolita et surtout le génial Dr Folamour) ou des magnifiques Barry Lindon et Shining. Mais, malgré la symbolique et certains effets visuels (et sonores) appuyés, incontestablement un film-défi, revendiquant sa complexité intellectuelle autant que son exigence esthétique.
Film charnière dans l'œuvre de Kubrick, 2001 marque le passage des récits fondés sur des destins humains à une méditation " cosmique " où les individus tiennent un rang peu élevé au sein de processus qui les dépassent. Dans ce cadre, 2001 annonçait en particulier une méditation sur l'intelligence artificielle, dont la suite aurait dû être le projet A. I. : Kubrick en a rédigé sept versions successives avant de transmettre le scénario à Steven Spielberg, qui vient d'en achever la réalisation.
J.-M. F.
Un monde autour de Stanley Kubrick
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