La critique de Cinéguns

N'y allons pas par quatre chemins, ce film est d'un humour plus que caustique, et ronge sur son passage la folie guerrière des hommes. Il n'y a ici pas de méchants soviétiques et de gentils américains, mais bien des tarés des deux côtés : les américains avec leur général paranoïaque et débile, mais aussi avec leur réunion au sommet d'abrutis de tous genre (y compris le président), et les communistes avec leur moyen d'auto-défense (bien que l'on ne sache pas s'il existe vraiment).

 

Bon, en premier, il faut bien dire que ce film de Kubrick ne brille pas par une réalisation exceptionnelle, mais toute naturelle de la part du maître, c'est-à-dire excellente. Les acteurs sont phénoménaux, notamment Scott et Sellers, qui montrent ici un brio fantastique. Le jeu de Sellers, que je crédite au niveau des acteurs de 3 rôles, mais qui en tient effectivement 5, est magique, car ce n'est pas un acteur qui joue tous ces rôles, mais bien cinq acteurs différents. Sa composition du Dr Folamour est drôlatique mais inquiétante : et si un tel personnage existait vraiment ? Cet ancien nazi, bourré de tic et qui ne peut empêcher sa patte folle de faire un heil de temps à autre.

 

Scott quant à lui est parfait dans son rôle de militaire jusqu'au boutiste, fou de guerre, et qui veut sa guerre comme les enfants veulent la récré. Les autres acteurs, bien que d'un second plan dans le film, sont tous à la hauteur de la tâche qui leur est demandée. Notamment le dingue qui pilote son avion, et qu'on voit partir à la fin sur sa bombe, faisant un rodéo nucléaire.

 

Le noir et blanc choisi est plutôt terne, notamment dans les extérieurs, et malgré l'obscurité des scènes d'intérieur, c'est là qu'il est le meilleur. La musique n'est pas très importante dans ce film, du moins à mon sens, comparativement à quelques autres films de Stanley. Pour en terminer avec mes avis sur le film et sa composition technique, le scénario est un joyau. Le cynisme y est constant, et surtout, comme pour la plupart des films, il est important de se resituer dans le contexte pour comprendre sa portée. Nous sommes bien en pleine guerre froide, voire à son summum, avec la crise de Cuba quelques mois plus tôt.

 

Il faut donc bien comprendre que ce film n'a pas la prétention d'être un joyau cinématographique, mais bel et bien un film à message. Un message universel de paix, et non un message moralisateur. Kubrick ne nous dit pas "soyez tous gentils" mais il nous dit "avec vos conneries d'élire des tarés pour nous gouverner, voilà ce qui peut se passer". La différence est importante, car le message s'en trouve déplacé. De plus, toujours dans ce scénario, Kubrick montre le danger de laisser ne serait-ce qu'un peu de pouvoir aux militaires. De Gaulle, bien que général, disait "parfois, les militaires, s'exagérant l'impuissance relative de l'intelligence, négligent de s'en servir" (Le Fil de l'Epée) et Florence Nightingale de rajouter "A certain amount of stupidity is necessary to make a good soldier" ("une certaine dose de stupidité est nécessaire pour faire un bon soldat", Lettres). Ces phrases ne font que montrer la pensée commune que les intellectuels se font de l'armée. Kubrick n'échappe pas à la règle, et ne dénigre pas les militaires, car il en faut, mais bien l'importance que ces gens ont. Eut égard à leur compétence : ces gens ont trop d'importance. De plus, lorsque Mandrake veut prévenir la présidence du code de désarmement, un simple soldat (encore une fois son importance relative devient "trop") lui fait perdre un temps fou, car pour téléphoner, Mandrake veut une pièce, et le soldat veut l'empêcher de détruire la machine distributrice de Coca, propriété du gouvernement et symbole de la démocratie !

Derrière le message anti-militariste se cache un film que l'on peut aborder au premier degré sans déception. On verra alors un bon film comique, notamment grâce aux prestations des acteurs, qui parfois sombrent dans la grosse farce. D'ailleurs, une scène du film (supprimée au montage) consiste en une gigantesque bataille de tartes à la crème à l'assemblée extraordinaire que tient le président avec ses généraux.

 

Mais le but du film est bien d'être vu au second degré (parfois tellement qu'on ne sait plus quelle vision correspond à quel degré). Ceci devient évident lorsqu'on prète attention aux détails. Dans une des photos que je vous ais collé pour présenter le film, on voit le général dingue et le capitaine Mandrake, avec une mitrailleuse, et en arrière plan, une devise : "peace is our profession" (la paix est notre profession) qui prête automatiquement à rire, bien que toutes les armées du monde ont la même devise ou presque (la campagne publicitaire pour l'armée de terre en France pour l'année 1996 (année dans mon souvenir) mettait en exergue cette devise, et nous incitait à nous enrôler pour "maintenir" la paix). Autre détail amusant, le fait que malgré le drame qui se noue, les généraux pensent encore à des petites choses bien matérielles : pour exemple, le coup de fil que Turgidson reçoit de sa chérie en plein conseil.

Au final, il est impossible de ne pas aimer Dr Folamour, même maintenant que la guerre froide est terminée, car l'histoire est toujours aussi divertissante, drôle, et le message du film est un message universel qui prend la guerre froide comme prétexte. Un film réellement précieux.