Une histoire de rêve(s)
Eyes Wide Shut est l'adaptation d'un roman d'Arthur Schnitzler, Tarumnovelle (Rhapsody : A Dream Story), publié en 1927. L'autrichien
Schnitzler (1862-1931), ami de Freud, était fasciné par l'interprétation des rêves, et utilisait souvent la bourgeoisie et l'aristocratie viennoise dans ses nouvelles. Il a écrit notamment La
Ronde, Vienne au Crépuscule, Une jeunesse viennoise, Mourir...
Kubrick a donc écrit avec son ami Frederic Raphael le scénario qui découlerait de ce roman. Pour rêver, il faut fermer les yeux. Ils ont transposé le décor dans une New York 99, symbole
d'un empire flamboyant mais au bord de son déclin. Comme Vienne il y a 100 ans. Nous sommes à Noël. L'Amérique contemporaine a un air de fin de siècle décadente.
EWS (Les Yeux grand fermés) est une histoire d'obsession sexuelle, et de jalousie. De lois et de fantasmes. Et de toutes ces peurs qui emprisonnent l'homme, ses pulsions, sa violence, son
instinct. Thèmes kubrickien par excellence.
Tom Cruise et Nicole Kidman incarnent William (Bill) et Alice Harford. L'un est médecin , l'autre ancienne responsable d'une galerie d'art. Un couple marié, parvenus, riches, heureux. En
apparence. Car sous la peau, il y a des veines qui chauffent, des fantasmes qui allument, de l'herbe qui se fume. Névrotique et érotique. Le couple se risque à partager leurs rêves et autres
folies sexuelles; pas seulement en en parlant, mais aussi en le faisant.
Tout au long d'un parcours dans les rues new yorkaises, la tentation sera à la portée de William. Mais pourra-t'il s'affranchir de ses tabous, et assouvir ses envies ?
Le désir mènera au délire. Une jeune fille qui se came dans une salle de bain, un baiser nécrophile sur un cadavre à la morgue, ... Jusqu'au bout du rêve, avec cette orgie masquée. Seuls
les visages sont masqués... Le reste est à nu.
Comme cette scène d'ouverture, où une jeune femme blonde, vêtue de noir, laisse glisser sa tenue sur ses hanches, et se dévoile dans toute sa nudité au spectateur. La mystérieuse Nicole
Kidman. Fondu au noir. Le spectateur est déjà devenu voyeur.
EWS est une histoire inracontable, puzzle amoureux où se mélangent le badinage, l'adultère, l'acte sexuel et autres liaisons dangereuses, dignes des fins de règne, que ce soient en
France au XVIIIème siècle ou durant la dynastie des Habsbourg.
Au final, EWS s'interroge sur la jalousie, la possessivité, le mariage, la sexualité... Tout ceci n'est qu'un long voyage dans un rêve moite, comme un plaisir peut être amer.
Le Réalisateur
Stanley Kubrick, l’œil obsessionnel
Il n'y aura rien, ou pas grand chose, à écrire de plus sur Kubrick. Il n'est plus là pour (en) parler. Et les autres l'ouvrent assez... Et Ecran Noir lui a déjà rendu hommage
Une oeuvre de Kubrick, c'est inoubliable visuellement, intellectuellement et émotionnellement. Après avoir explorer l'Espace et l'Histoire, l'horreur et la guerre, le crime et le désir, Kubrick,
en 12 films (+ EWS) a couvert la plupart des genres, tout en traitant de ses thèmes favoris. Parmi eux, la violence, au coeur de l'homme. Et tout ce qui en découle, notamment le pouvoir, la
guerre, la bêtise humaine...
Avec ses films, il faut avoir l'oeil ouvert. Un oeil récurrent et célèbre depuis 2001 L'Odyssée de l'Espace (son plus gros hit), mais aussi dans Orange Mécanique. Eyes Wide Shut demande au
spectateur d'être l'oeil, ce regard insistant et mateur. Comme dans The Shining ou 2001, il se cherche à travers un labyrinthe. Et le Docteur Harford incarné par Tom Cruise n'est pas différents
des autres protagonistes kubrickiens: prisonniers d'un système ou d'une éducation, confrontés à une situation extrême, exceptionnelle détruisant leurs rêves, leurs illusions, leurs ambitions.
L'Homme est la fascination de Kubrick. Individu ou en groupe, Kubrick en fait un portrait cynique, analytique, amer, froid, et le laisse rarement s'échapper vivant de son film. Il perd soit
son innocence, soit sa vie, en placant sa foi dans un sytème gouverné à la Big Brother. Passioné par Napoléon, il est aussi l'un des cinéastes qui a le plus critiqué nos systèmes politiques (avec
l'ironie cruelle en conclusion d'Orange Mécanique ou la bouffonerie fatale et barbare de Dr Strangelove).
Généralement, l'homme a le droit a sa rédemption, une renaissance; c'est là que se situe la "moralité" de Kubrick. La morale d'EWS, chacun la trouvera selon ses propres opinions. Chacun a
sa propre vision du sexe, et donc ses propres peurs. Car Christiane Kubrick insiste bien: le film ne parle pas de la sexualité des hommes, mais bien de leurs peurs face à leurs instincts, leurs
idées. Comme si c'était la seule chose qu'ils ne pouvaient pas contrôler, tout en cherchant à dominer leurs désirs et autres fantasmes.
EWS est en cela différent des autres. Il laisse une failure, des interrogations, il laisse un homme avec ses doutes, et ses défauts. Il inclut l'homme, sa logique, son éducation, dans
un monde totalement imparfait et complètement décadent. Bref une impasse.
Kubrick a gommé toute implication psychanalytique dans son script (il est allergique à ces monologues sur divan), rajouté un personnage milliardaire et irresponsable (joué par Sydney
Pollack). En tant que cinéaste, il n' a aucune compassion pour le personnage de Cruise. Il aime filmé l'inhumanité des êtres. Pourtant, il se laisse aller à filmer l'inconscient, ce qu'il ne
contrôle pas (mais à quel prix, avec combien de prises?). Jamais Nicole Kidman n'a été aussi sublimée, aussi bien dirigée. Si Cruise s'aventure sur un chemin tentant, tortueux, terriblement
dévastateur pour sa conscience, Kidman s'y laisse voguer, le regard se vidant à chaque fois. Un film sur la jalousie (destructrice) et le mensonge (l'anti-communication), sur l'inimité du mariage
et la confiance défiante d'un couple. Sur la possessivité des êtres, et leur individualité (égoïste le plus souvent).
Alice: "N'as-tu jamais été jaloux pour moi?"
Bill: "Je sais que tu n'aurais jamais été infidèle."
Et là elle avoue (en images) qu'elle vient de le tromper avec un marin. Kubrick montre l'émotion, plutôt que l'illusion d'un orgasme. Il voulait un film débarrasé des abstractions de Schnitzler
(un physicien par ailleurs) tout en ne sombrant pas dans le grotesque des situations.
L'orgasme final est évidemment cette orgie fatale dont tout le monde parle. Kubrick aura eu à coeur de nous envelopper dans son histoire et de nous libérer seulement à la fin. Kubrick a osé
affronter son pays sur son plus fort tabou (le sexe) avec sa plus grande star (Cruise). Son testament visuel est avant tout une vision morale, un jugement qui est tout sauf manichéen. Une analyse
profonde de l'être humain, et de sa dépendance vis-à-vis des schémas qu'on lui impose. Ici il réveille la part sombre qui est en chacun de nous, et comment dans une société qui a ses propres
règles, il arrive à gérer cette "découverte" ou connaissance. Sa famille le confirme: il s'agit bien d'un testament personnel. Le sujet lui était plus que viscéral. Les idées, les principes, les
valeurs philosophiques du film sont totalement ceux que défendaient Kubrick. Pour SK, il était évident que nous étions à la fois bons et mauvais. Selon Christiane son opinion était même
désillusionnée: "l'humanité n'est pas assez intelligente pour savoir ce qu'elle veut et comment l'obtenir."
Et en épitaphe, ses propres mots: "On ne sait jamais de quoi on est capable tant qu'on n'a pas essayé."
Le Casting
Il lui fallait deux stars. Idéalement un couple connu. Encore mieux si les deux acteurs étaient mariés hors écran. Tom Cruise. Nicole Kidman.
Ils se sont rencontrés au début de la décennie, sur le tournage de Days of Thunder. Ils ont joué ensemble une autre fois dans Far and Away. A partir de là Kubrick pouvait alimenter tous les
fantasmes. Voici de brefs portraits des corps et visages de EWS.
CRUISE
Superstar. Il a tourné avec Coppola, Scott, Scorsese, Levinson, Stone, Howard, Pollack, Jordan, De Palma, et a enchaîné Kubrick, Woo et bientôt Spielberg. Le plus simple n'est-il pas d'aller le
voir sur son site...
KIDMAN
Australienne née à Hawaï en 67. Elle a commencé sa carrière à la TV, en 83. C'est Dead Calm en 89 qui la révèle, dans ce huis-clos en mer. Kidman essaye d'équilibrer les rôles art et essais avec
les productions hollywoodiennes. Ambitieuse qu'on a vu en femme fatale ou femme forte dans Billy Bathgate, Malice, Batman Forever, The Portrait of a Lady (de Jane Campion), The Peacemaker, et
surtout dans le sucré-salé To Die For (de Gus Van Sant). Cette femme prête à tout n'a pas tardé, après la fin du tournage du Kubrick. La semaine suivante elle devenait soeur sorcière
de Sandra Bullock dans Practical Magic; puis elle interpréta avec succès un rôle de délurée en chaleur dans une pièce de Arthur Schnitzler (La Chambre bleue), sur les planches
londonniennes. On la verra en 2000 avec Ewan McGregor dans Moulin Rouge.
Marie RICHARDSON
40 ans cette année. Grande chérie d'Ingmar Bergman. La comédienne suédoise a remplacé Jennifer Jason Leigh. C'est en 92 que son visage a commencé à se faire connaître des cinéphiles
occidentaux, en jouant l'un des rôles principaux de Mes Meilleures Intentions, de Bille August, Palme d'Or à Cannes. On l'a revue sur la Croisette, avec le dernier film (en vidéo) de Bergman, En
présence d'un clown, grand hommage aux acteurs par le maître. Le Kubrick est son premier grand rôle dans une production non-scandinave.
Sydney POLLACK
Né un premier juillet, en 34, dans l'Indiana (USA). Pollack est un producteur, un réalisateur, et un acteur. C'est à lui que l'on doit le casting Cruise-Kidman, puisqu'il a refilé le numéro de
fax du couple à Kubrick. Pollack est notamment le cinéaste de The Firm (avec Cruise). Derrière la caméra, il a fut l'auteur de Jeremiah Johnson, Nos plus belles années, Les 3 jours du Condor,
Tootsie, Out of Africa, Sabrina et le prêt à sortir, Random Hearts (avec Harrison Ford et Kristin Scott-Thomas). En comédien, on l'a vu dans War Hunt (62), Tootsie, Husbands and
Wives, The Player, A Civil Action, et en caméo dans La Mort vous va si bien. Il remplace Harvey Keitel, premier enrôlé pour jouer un patient multi-milliardaire du Dr Harford.
Alan CUMMING
Le nom n'a rien à voir avec son rôle (cum = éjaculer en anglais). Ecossais né en 65, Cumming a faits ses débuts dans les années 90, à la télé. Ses 1ers pas sur grand écran sont dans Prague (92).
Aux oubliettes. Tout comme Black Beauty, Second best, Circle of friends, Burn your phone... Heureusement, il aura croisé 007 (mais pas l'écossais, l'irlandais) dans GoldenEye, puis Emma (avec la
schtroumpfette Gwyneth Paltrow), bluette en costumes, sans parler des Spice Girls (Spice world), Romy and Michele's High School Reunion (comédie lycéenne), ou encore le préhistorico-cartoon
Flintstones in Viva Rock Vegas. Cumming a quand même trouvé un hit de valeur: Plunkett & MaCleane, en salles françaises cet été.
Madison EGINTON
Elle aura 10 ans à la veille de la Mostra de Venise 99. Et n'a eu qu'un seul rôle avant de jouer avec Il Mostro de Londres: Star Trek Generations, où elle était l'enfant de Picard (94).
Todd FIELD
Américain de Pomona (bled californien), ayant vu le jour en 64. Il fut crooner dans on premier film (Radio Days, de Woody Allen). Il est jazzman dans celui de Kubrick. Entre les deux, il a
accumulé le pire et le meilleur: un nombre incroyable de séries B voire Z, Gross Anatomy (sorte de Police Academy à l'Hôpital), Fat Man and Little Boy (l'histoire de la bombe H), Twister (le truc
à tornades), et le prochain film-qui-fait-peur The Haunting.
Thomas GIBSON
Tout comme Cruise, il est né le 3 juillet 62. Mais lui est un sudiste de Caroline du Sud. Alors que Cumming incarne Gazoo, lui sera Chip Rockefeller dans The Flintstones in Viva Rock Vegas. Ils
doivent avoir le même agent. Révélé par les soaps d'après midi, Gibson a déjà croisé Cruise dans Far and Away. On l'aura remarqué dans un film de Denys Arcand (Love and human remains), un autre
très NY fin de siècle de Scorsese (The Age of the Innocence), et surtout dans des tas de séries TV: sitcoms (Dharma & Greg), policières (Chicago Hope), horreurs (Nightmare Street)...
Rade SERBEDZIJA
Croate et né juste après la guerre (soit en 46). Rade a débuté en 67. Avec une cinquantaine de films à son actif, il est un des acteurs les plus célèbres de l'ex-Yougoslavie. Il a commencé à
internationaliser ses ambitions après la fin de la guerre de Bosnie. Jouant dans l'italien La Tregua (La Trêve, présenté à Cannes en 97) puis dans The Saint (hit américain), Polish Wedding,
Mighty Joe Young et Stigmata.
Vinessa SHAW
Une cancer de plus, née en 76. Admirée et oubliée dans Hocus Pocus, Coyote Summer, Letters From a Wayward Son... on la verra aux cotés de Julie Delpy dans LA without a Map, film indie
présneté en festivals cette année.
Leelee SOBIESKI
C'est elle qui risque de voler la vedette. Hot hot hot. La new yorkaise Liliane Rudabet Gloria Elsveta Sobieski n'a que 17 ans, jouant les lolita kubrickiennes à 14-15 ans pour ce EWS. N'ayant
tourné qu'avec Cruise, elle est donc harcelé par les médias avant la sortie du film. Jungle2Jungle, remake d'Un indien dans la ville, lui donna son premier rôle au cinéma. Deep Impact l'entraîna
sur une voie de garage. C'est donc avec un James Ivory, en fille d'un écrivain célèbre, qu'elle fera ses premières vraies armes: A Soldier's daughter never cries lui offre même un rôle
plutôt riche en émotions. Elle s'est entre temps attaquée au mythe (Jeanne d'Arc pour la TV américaine), s'est trouvée un hit (Never Been Kissed). Tout le monde craque pour elle.
Le Co-Scénariste
Frederic Raphael, co-scénariste du film
Raphael est né à Chicago en 31. Eyes Wide Shut est un travail de co-écriture. Kubrick a donc fait appel à son ami Frederic Raphael, auteur spécialiste des philosophes grecs, romancier mais
aussi scénariste et réalisateur.
Sa seule réalisation est un des épisodes (Women & Men 2: In Love There Are No Rules) de la série qu'il a conçu (Women and Men: Stories of Seduction). Son premier script - Bachelor of Hearts -
date de 58. 7 ans plus tard il se fait remarqué avec Darling, Oscar du meilleur scénario original. Puis en 67, avec Two for the road (qui réunit Audrey Hepbrun et Albert Finney) qui lui vaut une
nomination à l'Oscar du meilleur scénario original. En Grande Bretagne, il recevra le même doublé (Meilleur scénario pour Darling, nomination pour Two for the road) aux prestigieux BAFTA. Il
écrira même La Putain du Roi (production française de 90).
Les yeux pour lire
Expert en dialogues. Sans doute un héritage de sa passion pour Platon, Sophocle, Aristophane et cie. Mais Raphael est tout sauf ennuyant: il y mêle toujours de l'humour, des dialogues
percutants et légers, dans un contexte parfois cruel pour les protagonistes. Son récent best-seller Coast to Coast ressemble d'ailleurs beaucoup à Eyes Wide Shut, le sexe en moins.
Mais Raphael n'a pas fait qu'écrire des romans et des scénarii. Il a aussi rédigé un livre, très controversé, Eyes Wide Open: A Memoir of Stanley Kubrick. Certains l'accusent de vouloir se faire
du fric sur le dos (mort) du maître. Il y a des temples qu'il ne faudrait pas prophaner.
Or ce livre (au titre biographique) ne rapporte que quelques conversations, quelques fax, quelques visites. Malentendu? D'autant que Raphael y écrit beaucoup à propos de lui. Arrogance?
Controversé parce qu'on apprend peu de choses sur Kubrick si ce n'est qu'il aimait les animaux, qu'il reniait ses origines juives, et que Rapahel se fait de la pub par opportunisme: du titre du
bouquin à la date de sortie (juste avant le film), pour un résultat à 12$ en librairie et 190 pages.
Donc il s'agit plus d'un Verbatim entre les deux scénaristes du film qu'un "making of" d'EWS. Le livre ne fait que montrer la complexité du caracatère de Kubrick, sans nous l'expliquer. Raphael
n'a pas voulu divulguer plus de détails sur son ami. Quitte à se facher avec la famille Kubrick en révélant des "accros" médiatisables (et souvent repris hors contextes). Ou alors il n'en savait
pas plus, à l'instar de beaucoup...
En tout cas il ne nous apprend rien, ou pas grand chose, sur le travail de co-écriture du film, sur les méthodes de Kubrick, sur l'origine du film.
Vanités Foire
Le procès d'intention ne fait que commencer. Dans son édition d'Août 99, Vanity Fair donne la parole à Michael Herr. Herr, ex-journaliste de Esquire, auteur de Walter Winchell: A Novel (90),
fournit son avis sur Kubrick (en 12 000 mots rémunérés). Il a rencontré le cinéaste en 80, via John Le Carré (le romancier). En 87, Kubrick et Herr ont écrit le scénario de Full Metal Jacket. Une
guerre des co-scénaristes sera-t-elle enclanchée ?
En tout cas, on en apprend plus, rayon potins. Pauvre Stanley. Le reclus se transforme en parleur. L'homme n'était pas solitaire, puisqu'il passait des heures au téléphone. Cet exilé
"idéologique" était nostaligique de son pays, les USA. Il se faisait importer des cassettes vidéo de football américain, de pubs et de sitcoms (Rosanne, Seinfeld, The Simpsons...). Il envisageait
même de déménager à Vancouver ou Sydney. Il discutait d'Hérodote et de Louis-Ferdinand Céline (son favori parmi les anti-sémites). Bref un esprit animé d'ouverture. Herr (qui a remanié quelques
scènes d'EWS) rentre surtout en conflit avec Raphael sur l'anti-judaïsme de Kubrick. Selon Michael Herr, Kubrick ne reniait pas ses origines et adoraient les blagues juives.
Bref, en livres ou dans les magazines, les témoignages sur SK ne font que commencer. on doit s'attendre à tout, comme pour le tournage de EWS: plus de rumeurs (sordides) et de fantasmes (filmés)
que de faits et de vérités. Etonnant que ce soit deux co-scénaristes qui s'y collent, par écrit, qui plus est maladroitement.
Le Tournage et les Rumeurs
Eyes Wide Shut était au départ un des tournages les plus prometteurs lors de son lancement. Cela faisait 7 ans que le dernier film de Stanley Kubrick (Full Metal Jacket) était sorti en salles. Il
fut aussi l'un des plus secrets (plateaux fermés, scénario non disponible, casting problématique) et l'un des plus longs. Il devint l'un des films les plus mystérieux (à 15 jours de la sortie, on
en sait toujours très peu sur le contenu) et surtout le plus attendu, avec Star Wars. De rumeurs en faux-semblants, de crises en communiqués de presse, EWS n'aura pas été qu'une odyssée sur le
sexe, mais un modèle extrême de l'exigence d'un auteur. Un peu comme la folie de Cameron pour son Titanic. Mais ultime coup du destin, et bon coup marketing, Kubrick meurt une semaine après avoir
finalisé le premier montage final de EWS. Le film-événement devient épitaphe, testament et conclusion de l'oeuvre d'un chef.
En fait, tout a commencé il y a 30 ans.
Christiane Kubrick, femme fortement médiatisée depuis la mort de son mari, lui donne à lire une nouvelle d'Arthur Schnitzler (Traumnovelle). Nous sommes en 68; 2001 L'Odyssée de l'espace vient de
sortir. Ce film culte est un véritable virage dans l'histoire du film de science-fiction. En lisant le Schnitzler, il envisage déjà son prochain film. A la fin des années 60, tout le monde se
libère, le sexe est démocratique, les psys deviennent à la mode... Contexte idéal pour l'adaptation de cette Histoire de Rêve. Mais finalement, Kubrick la laisse de coté et réalise Orange
Mécanique. La violence plutôt que le sexe. Orange Mécanique est cruellement toujours d'actualité en cette fin de siècle.
Au début des années 80, Kubrick songe à un nouveau projet post-The Shinning. Il a deux possibilités. Un essai de Raul Hilberg, La destruction des juifs européens. Et Traumnovelle, qui le hante
toujours. Il imagine alors les premières bases de ce que sera EWS. A l'origine, il s'agira d'une comédire noire sur le sexe, avec en rôle titre Steve Martin, dont il est fan. Une sorte de Dr
Strangelove sans la bombe H.
Depuis, il co-écrit et réalise Full Metal Jacket, nouvel opus pacifiste. Il projette un film énigmatiquement appele AI (Intelligence Artificielle) qui nécessiterait beaucoup d'effets spéciaux. Il
écrira même l'adaptation du roman sur l'holocauste de Louis Begley (Wartime Lies). Il aurait même contacté Uma Thurman et Julia Roberts pour jouer dans ce film. Dernière actu
en date, Spielberg vient d'annoncer un scénario écrit à 4 mains avec Kubrick, de 900 pages, quasiment achevé.
Prolifique Kubrick, qui pourtant n'aura que peu tourné. En voyant la production d'EWS, il ne faut pas s'étonner. Car finalement, SK s'attaque à ce livre qu'il aime tant. Entre 94 et 96 il écrit
le script, qu'il enverra aux deux stars élues, le couple Cruise-Kidman. Ce choix n'est pas innocent. Niveau marketing, il a tout pour créer l'événement. Niveau budget, il permet de rassurer le
studio, et donne à Kubrick une liberté totale (qu'il a pourtant, par contrat). Certains pensent qu'EWS n'est qu'un coup financier pour faire un blockbuster et lui faciliter la pré-prod coûteuse
d'AI.
EWS est officiellement annoncé par le studio Warner en 96. Le tournage débutera le 4 novembre 1996 pour s'achever le 31 janvier 98. Un record de longévité. Et de quoi nourrir les critiques,
potins et éditos de tous médias. La première bande annonce du film n'apparaîtra qu'en février 99. Le tout pour un budget de 65 millions de $. Raisonnable. Mais le coût hollywoodien est bien plus
élevé: le tournage aura bloqué la carrière de Cruise durant 3 ans (soit un manque à gagner de 200 millions de $ par films potentiels), et retardé ainsi la sortie de Mission Imposible 2 (décalé à
Noël 99). A noter que Cruise comme Kidman avaient accepté des revenus moins importants que d'habitudes, et avaient refusé de nombreux projets, tout en déménageant en Angleterre. Est-ce que cela
valait le coup ?
Un tournage long mais aussi chaotique, et même très difficile. Avant tout à cause du casting. Mais Kubrick a voulu tout protéger, s'enfermer dans les studios de Pinewood (près de Londres), et
contrôler tout ce qu'il pouvait. Pinewood qui, durant le tournage, ressemblait à New York, où des quartiers entiers étaient reconstitués. D'autres scènes furent tournées à Mentmore Towers, Luton
Hoo, Highclere Castle et au fameux Madame Jo Jo's nightclub de Londres.
Kubrick, fidèle à sa légende, perfectionniste absolu, faisait faire des journées de 16 heures. Cruise en fit un ulcère. Une crise de nerfs aussi, puisqu'il faillit tout quitter en cours de
production. Cette impression de tournage sans fin faisait pression sur le couple. D'autant que les médias londonniens, tabloïds en tête, ne les laissaient pas en paix. On raconte tout et
n'importe quoi: Cruise serait déguisé en drag-queen, le couple aurait eu à faire à des sexologues pour jouer leurs rôles, ... les procès pour diffamation se suivent et se ressemblent.
Le casting principal comprenait aussi Harvey Keitel et Jennifer Jason Leigh. Tous les deux seront évincés. Officiellement parce qu'ils avaient d'autres projets prévus et signés (un film sur Elvis
pour Keitel, eXistenz pour Jason Leigh). Il faut dire que le tournage s'éternise. Au bout de 5 mois Keitel claque la porte. Certaines rumeurs font part d'une éjaculation réelle dans les
cheveux de Kidman (qui aurait exigé son départ). Il sera remplacé par Pollack, un peu plus doux de visage. Toutes les scènes sont à refaire. Pourquoi le cinéaste Sydney Pollack? C'est lui qui a
donné le numéro de fax de Cruise et Kidman à Kubrick, afin qu'il les contacte.
Suite à ce fax, et à l'accord de principe des deux stars, SK enverra par courrier express le scénario (impossible à photocopier). Retour obligatoire le lendemain. La parano est totale, même après
la mort du maître. Christiane Kubrick fera une OPA sur la mémoire de son mari: photo officielle, site web de Christiane intégré à celui d'EWS, contrôle total sur la direction artistique et
marketing du film... La famille montre alors le film à Alexander Walker, journaliste et ami des Kubrick. Il rédigera la première critique sur le film, révélant quelques détails scénaristiques. La
réponse sera sans équivoque: Walker les a blessés, trahis; leur colère révèle que cette impro n'était pas dans le plan média. Pourtant Walker a émis une critique positive, et n'était soumis à
aucune interdiction.)
Mais revenons au tournage...
Pour Jennifer Jason Leigh, on dit que Kubrick n'était pas satisfait de son jeu. Il la remplacera tardivement par Marie Richardson, égérie bergmanienne. Et toutes les scènes sont à refaire.
Kubrick cultive le secret. Et se fout du quand dira-t-on. La Warner commence à s'inquiéter, et donc commence à communiquer : tout va bien, officiellement. D'autantq ue le retour sur
investissements n'est pas certain.
Mais le casting n'est pas la seule complication du film. Le sujet - le sexe - lui garantit une intense couverture médiatique. Et fatalement une négociation avec la censure.
Censuré aux USA et au Canada (pour éviter le NC-17 réservé aux oeuvres quasi-pornographiques) , Warner a fait cacher les parties intimes des acteurs et actrices du film par un effet digital. De
quoi fournir un débat sur la censure: un pénis est-il plus dangereux qu'un gros pistolet? Pourquoi le sexe est "coupé" et la violence encensée ?
Toujours est-il que Cruise et Kidman (qui ont vu le film en mars) ont été sous le choc en sortant de la projection. Cruise a changé ses obsessions : son personnage était hanté par des visions
lubriques, désormais lui a peur des réactions. Kidman ne s'y trompe pas; après le choc, elle reconnaît que le film suscitera la polémique, et finalement qu'elle en est très fière. Les deux
confirment que Kubrick n'a subit aucune pression, et que le film est tel qu'il le voulait. Aujourd'hui, ils assument leurs rôles de représentant de ce testament visuel.
Mais Kubrick ne voulait sûrement pas que son film soit coupé, à la rigueur censuré par ce NC-17. Finalement 65 secondes d'images "explicites" seront numérisées par lui-même. Prudes américains.
Ils verront un film rempli de chair, esthétiquement réussi. Mais rien de pornographique.
Christiane Kubrick explique cependant que le film a surtout à voir avec les peurs de l'être humain, et non avec le sexe. Le sexe n'est qu'un moteur, une obsession typiquement humaine. Et donne à
Kubrick l'occasion enfin de donner une dimension humaine à un de ses films. Le sexe comme les femmes sont rares dans son cinéma.
Il rendra aussi hommage aux oeuvres de sa femme et de sa fille, en intégrant dans les décors leurs peintures.
Kubrick meurt une semaine après avoir montré son premier montage final aux pontes du studio Warner Bros. Il leur a livré une bande annonce (un teaser plus exactement), sur une musique de Chris
Isaak. Un extrait court, beau, et coloré. Le tout est montré au cours du congrès ShoWest en exclusivité. Les assistants devront finir le travail. La Warner tente de récupérer le marketing
(affiche, musique...). Sa femme fera tout pour ne pas être spoliée. Une fin à la Mozart, le compositeur étant mort avant d'avoir achevé son Requiem.
L'affiche sera ratée. Le plan média modifié (avec un Cruise en tournage et un SK aux abonnés absents). On privilègera la raréfection des stars, les médias maison (Time Warner). Le CD intéressant.
Et le tout fera l'Ouverture de la célèbre Mostra de Venise. On ressortira l'oeuvre complète en DVD par la même occasion. les bios se multiplient. Jamais on n'aura parlé autant du réalisateur et
de ses films.
Le film ne sera montré qu'à partir du 10 juillet. Et là, c'est bien les journalistes, amateurs, critiques, cinéphiles qui donneront leur avis. Désormais, Kubrick goes public.
LE SEXE (ET LES PEURS)
Tout serait-il sexe comme l'affirmait Freud?
A en croire (et en voir) les films de ces derniers mois, on pourrait croire que le vieux barbu autrichien avait raison.
En cette fin de siècle, l'homme s'interroge sur ses instincts, et sa sexualité. Est-ce la dernière chose qui le domine? A force de jouer aux apprentis dieux, l'Homme règne sur la technologique
qu'il invente et s'amuse à modifier toutes sortes de gènes (et donc pas de plaisir).
A force de lui donner des loisirs, de lui faire croire à sa liberté, le système lui a imposé deux obsessions: le fric et le cul.
Amputation
Pour vendre n'importe quoi, on serait prêt à montrer un bout de chair. Nos fantasmes sont nourris chaque jour de clichés pseudo-érotiques, de corps athlétiques, de silhouettes séductrices.
Kubrick ne s'est certainement pas trompé en choisissant le sexe comme moteur de son film. Il est à la base des relations entre les êtres humains. De leur hiérarchie, organisation. Et de leur
pouvoir (domination de l'autre, contrôle de soi). Il est ce qui déstabilise la raison, attire l'oeil, et créé des sentiments dévastateurs comme la jalousie, la possessivité, la méfiance...
Sans parler de la communication : on communique pour draguer, comme on communique des sentiments par le jeu des corps. L'Homme n'arrive pas à se départir de cet état "basique". Le cinéma a
souvent illustré la période de séduction (La discrète par exemple), mais pour cause de censure, a eu de la difficulté à montrer la sexualité comme trait d'union entre deux êtres.
Alors que les nus ont toujours fait la gloire des autres arts (sculpture, photographie, peinture, et même la bande dessinée), le cinéma (hors porno) ne sait pas encore comment le filmer. Ni
pourquoi.
Le sexe fait secession entre les continents.
Evidemment, selon les cultures, tout diffère.
Par exemple, Woody Allen, dans un registre soft, typiquement freudien, c'est à dire bavard mais peu explicite, très analytique mais pas du tout pornographique, a mis à plat presque tous ses
fantasmes.
Pourtant, le cinéma érotique, très à la mode dans les années 70, n' a eu de conséquences sur la nudité au grand écran qu'en Europe.
Aux USA, au contraire, le puritanisme l'a emporté. On le voit dans l'excellent The Ice Storm, où les couples libérés et infidèles des années 70, ne supportent pas de voir leurs enfants faire
touche-pipi aux débuts de l'adolescence.
Le porno se voit reléguer dans les rayons vidéos. Et deviendra un sujet sérieux pour le cinéma (Boogie Nights où on ne montre qu'un pénis au repos).
Pendant que les Américains se choquent encore de voir un film (relativement soft et même assez laid) comme ShowGirls (classé NC-17), ou même Basic Instinct, le cinéma gay (et cru) émerge, les
Canadiens filment le corps sans pudeur, et certains Européens dévoilent leurs visions du sexe. Et à voir l'industrie du X (vidéos, magazines, sites webs), on trouve bien étonnant que les
Américains jouent les vierges offensées. En Asie, la censure est toujours opressante: au Japon on interdit toujours les poils pubiques, mais on trafique les petites culottes souillées des
collegiennes. Le cinéma pourrait être taxé d'esthétique, d'érotique, ou d'hypocrite, selon.
John Waters, ex-spécialiste du mauvais goût, affirme même que le tabou ultime serait qu'une star hollywoodienne fasse du X.
La peur du sexe.
Le sperme serait donc plus dangereux que le sang.
La peur serait-elle simplement une honte? C'est ce que pense Demi Moore (qui fut la première femme à faire la cover d'un magazine populaire, nue et enceinte), qui trouve les gens souvent coincés
dans leur propre peau, et peu à l'aise avec leurs corps.
En fait l'Amérique pense que le sexe est toujours un acte du diable. Même si leurs sitcoms ne parlent que de ça. Ca les obsède du coté du cerveau; ça n'a ni queue ni tête.
Kubrick a fait en cela une analogie historique classique: tout empire, à son apogée, ou au début de son déclin, qu'il soit Romain, Austro-hongrois ou Américain, subit une certaine décadence, liée
à une liberté infinie au sein d'une élite (ou aristocratie) qui se croit tout permis. La débauche est souvent sexuelle, et en tout cas matérialiste.
Et si les philosophes ont toujours traité l'argent comme s'il s'agissait de déchet. La vraie répugnance catholique et par ailleurs intellectuelle est plutôt le fric.
Le sexe est plutôt une histoire de religion. Elle n'est pas innocente dans le sentiment de culpabilité sexuelle; le sexe, outil de procréation, certes. Mais pourquoi honnir le
plaisir?
Cette menace "divine" a pesé d'un fort poids sur les consciences et cultures. Et a coupé l'envie à beaucoup.
Il a fallu le SIDA pour que le sexe redevienne un sujet d'actualité.
L'Europe moins bien pensante.
En Europe, d'ailleurs le sexe est considéré différemment. Les femmes bronzent seins nus.
Lars Von Trier filme une orgie, tel un acte banal. On pourrait même remonter à Pasolini, ou aux fantasmes de Fellini. Depuis Vadim, le cinéma européen déshabille les femmes. Les baisers sont
moins chastes.
En France, ces derniers mois, on a pu admirer plusieurs pubis ou pénis (faux ou vrais), en érection, en pénétration, en éjaculation, dans des films comme Sitcom (pour rire), Romance (pour
réfléchir sur la condition féminine par le biais de l'origine du monde), L'Humanité (la générosité cuisse écartée), Pola X (inceste compris), ou même Les Amants Criminels (sodomie sauvage). On ne
cache plus. On montre tout. On banalise.
Le sexe, objet du désir.
Quelle utilité ? Quel intérêt ? il y en a plusieurs. Le cinéma doit se démarquer et s'accomplir comme art, créer son langage plastique. Un peu comme la peinture s'autorise à illustrer des nus à
sa manière, le 7ème art cherche des images fortes en émotion et en signification, troublantes de préférences. (Sur)Exposer l'intimité peut valoir des inimités, mai c'est aussi le gage d'un cinéma
plus "ouvert" sur l'invisible de l'Homme. Or l'invisible, c'est justement le but recherché par une (bonne) caméra.
Or le sexe, ça signifie (pas besoin de lire De Beauvoir ou Lacan...). Catherine Breillat le prouve en portant un regard psycho et narcissique, et en expliquant ses névroses par les images SM
d'une femme violée par la caméra (Romance).
On intellectualise jusqu'en dessous de la ceinture, pour mieux se débarasser, une fois de plus, de cette pulsion qui nous envahit. C'est un peu comme désexualiser le sexe. Lui enlever son coté
animal.
En revanche c'est tissé un lien direct entre notre cerveau et le sexe. Contrôler le non -maîtrisable. Ne s'agit-il pas au contraire d'un acte d'abandon total...?
Là c'est l'itinéraire de Kubrick. Pour lui, un peu comme pour Bunuel en son temps, la perversité des situations suffit à démontrer les problèmes psychos-sexuels de l'Homme. Il s'agit presque
d'une initiation indispensable pour que l'Homme parvienne à bien se connaître.
La peur d'être soi, de se connaître soi. C'est peut-être ça que la civilisation US n'assume pas. Ca ne correspond pas à sa vision du jardin d'Eden. Les sitcoms pourtant montrent bien des
personnages obsédés, et d'ailleurs névrotiques. Ils n'arrivent même pas à communiquer avec l'autre sexe, à force de se construire des barrières, des lois, des psychoses. Où est le naturel?
Ce n'est plus de féminisme dont on parle mais d'identité masculine. Le best-seller de la décennie? les hommes sont de Mars et les femmes de Vénus.
Osons.
Cette non-communication, on la retrouve aussi dans Eyes Wide Shut. Cette peur de l'autre. Cette peur d'échanger, de donner sans recevoir. On préfère même l'anonymat.
Ou les Chats en ligne.
Même le sexe devient virtuel, se cache derrière des pseudos et des icônes.
Tout comme la photo a remplacé la peinture dans l'art du portrait, le cinéma sera peut-être l'art du réel et donc des sentiments, face au ludisme électronique du web.
Kubrick explore justement cet imaginaire, le confondant avec la réalité. Le sexe qu'il soit dans la tête ou devant nos yeux n'est qu'un prétexte pour nous connaître, savoir ce que l'on veut.
Progresser. Par conséquent, le cinéma, loupe observatrice de l'être humain, doit se pencher dessus, tel un voyeur.
C'est un peu ce que des cinéastes aussi différents que Greenaway (8 semaines et demi), Carax, ou Ozon affirment: fréquenter des itinéraires troubles, s'aventurer dans des fantasmes extrêmes pour
mieux avancer.
A l'opposé, il y aura toujours des Von Trier, Dumont, etc... qui en feront un instrument de plaisir, de rire, un échappatoire à une condition ou une situation.
Le sexe fait peut-être peur. Mais le cinéma est bien décidé à lui rendre sa gloire, et à ne plus le masquer.
Les Critiques
En quelques mots une compil' de critiques, jamais très tendres lors de la sortie des films de Kubrick. Et toujours élogieuses 10 ans après.
Alexander Walker : it's a sex odyssey
Première critique officielle parue sur le site du Evening Standart.
This is London
EWS n'est pas un film qui finit avec des réponses toutes faîtes ou même des certitudes rassurantes. Le couple survit, mais ne ressort pas indemme. Comme dans les autres films de Kubrick avant, il
laisse libre cours à l'interprétation du spectateur et nous fait réaliser qu'une seule projection ne suffit pas à révéler tous les signes et symboles nécessaires pour suivre ce parcours dans les
transgressions de ses protagonistes (...). Même dans ses moments les plus déconcertants, c'est une oeuvre stupéfiante réalisée avec un contrôle magistral, auquel s'ajoute une humanité que de
nombreux détracteurs rep^rochait au cinéaste de ne pas avoir. Cela pourrait être le triomphe final de Kubrick : la satisfaction posthume de voir deux performances qu'il a su tirer des des
acteurs, qui pour la première fois semblent jouer sans dépendre du filet de sécurité de leur statut de star pour les protéger. Cette production d'adieu est une victoire pour la quête sans fin de
son auteur où son objectif surpasse ses connaissances.
Todd McCarthy : A big ``aye'' for Kubrick's ``Eyes''
Parue le 11 juillet 99 dans le magazine professionnel Variety
Moins acerbe et plus optimiste sur la condition humaine que n'importe quel autre film de Kubrick, EWS est l'adaptation intime et précise de la très belle nouvelle de Schnitzler, Dream Story
(1926); une adaptation remarquablement fidèle à sa source tout en ne trahissant aucun des thèmes familiers u cinéaste, comme la paranoïa, la déception, les masques (au sens littéral comme au sens
métaphorique du terme) que les gens portent, ainsi que la difficulté qu'ont les êtres humains - intelligents - de transcender les instincts et pulsions auto-destructrices qui conduisent leur
espèce. A coté de cette succession de scènes délicieuses, ce film exceptionnel se confond dans un état de rêve sous-entendu, telle un style mélangeant de l'audace et de l'extravagance, qui permet
à la "réalité" et à l'imaginaire de fusionner (...).
Esthétiquement, le film est saisissant, imposant et majestueux, mixer à une intimité à couper le souffle. Le style Kubrick, avec des plans steadicam et une utilisation magistrale de la musique
coexistent avec bonheur, et en toute beauté, avec une photo qui rappelle parfois Festen de Thomas Vinterberg.
(...) Les fins des Kubrick étaient tantôt absurde, désespérée, apocalyptique, mystique, corrosive, meurtrière ou nihiliste; peut-être que la conclusion de celui-ci - un espoir prudent - suggère
au moins que Kubrick croyait en quelques sorte au progrès humain.
Philippe Garnier : Le dernier Kubrick à première vue
Parue le 12 juillet 99 dans Libération - une critique destructrice où Kubrick aurait tout faux. Morceaux choisis (et méchants).
Casting mal vu. Le fait d'engager un couple célèbre pouvait aussi passer pour un coup fumant: scènes d'intimité conjugale, chimie des corps. Sauf que. Avait-on oublié Horizon
lointain, Jours de tonnerre? On sait que, quelles que soient leurs qualités propres séparément, Cruise et Kidman ne jouent pas bien ensemble et font autant d'étincelles que deux gommes à
crayon. (...) < Bien sûr, si nous offrir en pâture l'adorable derrière de l'adorable Australienne devait rester le dernier acte de Kubrick, nous lui en serions éternellement reconnaissants.
Mais elle qui jouait si bien l'hystérie méchante avec Gus Van Sant joue ici très mal l'ébriété sous toutes ses formes et n'est juste qu'en de rares moments, et jamais touchante. Cruise joue un
docteur new-yorkais, mais le joue comme il peut, c'est-à-dire à la Cruise, c'est-à-dire comme un croupier.
Schnitzler mal lu. On ramènera Ophuls sur le tapis, pas seulement pour les valses ni la provenance de l'histoire. Mais Ophuls savait où il allait avec ses mouvements; il ne tournait pas toujours
en rond. Il ne faisait pas systématiquement long, comme toutes les scènes ici (le film dure 2h46). Et si Kubrick colle d'étonnamment près au texte d'Arthur Schnitzler, il le lit mal ou choisit de
s'en écarter quand ça l'arrange, aux pires endroits possibles.
Edulcoré. Il y avait pourtant des choses chez Schnitzler sacrément plus intéressantes, surtout pour un homme comme Kubrick, qui avait énormément de mal à révéler des secrets. Or les personnages
de cette histoire ne font que ça, l'histoire ne fait qu'en dépeindre les conséquences. Et ce qui au temps de Schnitzler était réellement scandaleux (on ne parlait pas de ces choses-là entre
époux) devient un peu incompréhensible, voire risible, dans le monde d'aujourd'hui. C'est ce qui rend cet ultime film plus largué que crépusculaire. On a parfois l'impression que c'est l'œuvre
d'un homme pour qui la pochette anglaise d'Electric Ladyland de Hendrix a été le summum de l'érotisme et de la perversion.
Autres critiques, on-line.
The Juice
Les acteurs sont à leur top; Cruise est cool et confiant, alors que Nicole (dans ce qui est plus un second rôle) est sexuelle et charmante; rien que le couple fait valoir le détour par une salle
de cinéma. La mise en scène est simple, mais puissante et la caméra de Kubrick fait un travail qu'on peut qualifier de fantastique. Il est vraisemblable que ce film apportera differents avis
selon les gens: certains l'aimeront, d 'autres pas. Ou en termes plus profanes, les gens qui n'ont pas l'habitude des intentions de Kubrick ne capteront rien, et les fans s'extasiront dessus.
Finalement, il s'agit d'une expérience récompensée qui aurait pu être meilleure, mais qui est une fin convenable à une carrrière de légende.
The scrubbing bubble
EWS est le meilleur des films que Kubrick ait jamais fait. C'est un film de maturité qui fait état clairement de ses sentiments à propos de la monogamie et du mariage. Il s'agit d'un film très
moral. Dans son coté le plus simple, EWS est l'histoire d'un homme qui traverse la nuit, s'y perd, spirituellement et moralement, et finalement retrouve le chemin de la maison. Kubrick a laissé
une oeuvre monumentale. Ce n'est ni un puzzle, ni ambigüe, même si beaucoup le diront. Sa réalisation est sans défaut. La quantité d'infos qu'il nous donne uniquement à travers le visuel est
étonnante. Et jamais ennuyeuse ni lente. Et ceux aui le diront doivent être trop habitués à l'école de réalisation de Michael Bay. Comme nous le savons tous, les films de Kubrick ont leurs
propres règles et leurs propres rythmes.
The Spanish Lover
Le film est long (2h40). Pour donner mon avis, j'aurais besoin de plus de temps pour que mon cerveau le digère, et certainement d'une seconde vision. Ma première impression est que l'aspect
esthétique du film est fabuleux. Kubrick bouge sa caméra comme personne, et tout, de la lumière au montage, marche à merveille. La musique est superbe (...). Les acteurs sont tous excellents,
bien que Cruise et Kidman (dans un plus petit rôle que prévu), soient les stars de ce show. EWS est un film intriguant, fascinant, cherchant sa voie dans les profondeurs du désespoir et de la
dépravation humaine.
DATES MAJEURES
Eyes Wide Shut a fait l'Ouverture de la Mostra de Venise, le 1er septembre 1999.
Le film EWS est sorti officiellement le 16 juillet 99 en Amérique du Nord. Et le 16 septembre en France.
Sortie de la Bande Originale du Film le 9 juillet 99
Mort de Stanley Kubrick, le 7 mars 99. Ironiquement le film devait sortir aux alentours de cette date. Or, Kubrick a achevé son premier montage 5 jours plus tôt. La première bande annonce a
été montrée la semaine suivante : Kubrick-Cruise-Kidman, en lettres colorées, ponctuant une scène érotique, où Kidman mate le spectateur d'un air absent, et Cruise la caressant.
Fin du tournage : 31 janvier 98
Date de sortie décalée à Noël 98 puis fin février 99. 12 avril 98. La presse professionnelle annonce le renvoi des plateaux de Jennifer Jason Leigh, officieusement parce que
Kubrick la trouve mauvaise.
Date de sortie prévue : Noël 97.
Début du tournage : 4 novembre 1996
Juillet 96 : annonce de la mise en pré-production du projet.
QUELQUES FAITS A SAVOIR...
Les Américains et Canadiens (et certainement les Australiens) verront une version censurée (c'est à dire 65 secondes d'images redigitalisées). Les Européens seront plus chanceux en ayant la
possibilité de voir une version sans parties génitales masquées.
EWS n'aura pas la classification NC-17 (comme Showgirls par exemple) qui empêche tout film d'être marketé auprès du grand public. Le comité de censure lui a adressé un R, qui permet à tout enfant
de moins de 17 ans, accompagné, d'aller voir le film.
Un monde autour de Stanley Kubrick
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